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L’Ifrap : think tank ultra-libéral à l’aise sur France 2, et ailleurs
Article mis en ligne le 19 mars 2015

(...) Dans le 20h de France 2 du dimanche 8 mars, le cinquième sujet était consacré à un « débat », ainsi introduit par Laurent Delahousse : « [La reprise de l’économie française] fait l’objet d’un débat entre experts. Alors la France a-t-elle les moyens de s’en sortir ? Dans un livre choc, Agnès Verdier-Molinié apporte sa réponse : pour elle la France va dans le mur [1]. C’est l’heure ce soir du débat. »

En fait de débat, le sujet de 3 minutes est un match de boxe en quatre rounds : sur quatre sujets (« fonctionnaires », « chômage », « 35 heures » et « la France va-t-elle dans le mur ? »), Agnès Verdier-Molinié énonce une proposition en une phrase, et son adversaire lui répond, en une phrase également. Et c’est Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova et présenté comme « économiste social-libéral » qui est le sparing partner de la directrice de l’Ifrap. C’est donc à cet affrontement stérile que se résume la vision donnée par le 20h de France 2 du « débat entre experts » ce soir-là. Et puisqu’il s’agit en réalité d’un spectacle, on peut comprendre que la directrice de l’Ifrap, avec ses « propositions provocatrices », soit une interlocutrice de choix pour France 2.

On s’étonnera en revanche de savoir que la rédaction du 20h a laissé passer l’opportunité de mettre en scène un débat potentiellement plus virulent (et donc plus spectaculaire). Un article de libération.fr révélait en effet le 10 mars qu’Agnès Verdier-Molinié avait refusé de débattre avec un économiste plus critique, Henri Sterdyniak, au motif d’un précédent débat houleux sur Public Sénat. C’est ainsi qu’Agnès Verdier-Molinié a non seulement eu l’opportunité de faire la promotion de son livre et de ses idées à une heure de grande écoute sur le service public, mais en plus en y posant ses conditions. Cela amène naturellement à poser la question des rapports qu’elle et sa fondation entretiennent avec les médias.

L’Ifrap, institut de recherche ?

L’institut français de recherche sur les administrations et les politiques publiques, devenu « Fondation IFRAP » en 2009 après avoir été reconnu d’utilité publique [2], a été fondé par Bernard Zimmern en 1985. Créé sur le modèle des think tank américains, il définit ainsi ses objectifs : « effectuer des études et des recherches scientifiques sur l’efficacité des politiques publiques, notamment celles visant la recherche du plein emploi et le développement économique, de faire connaître le fruit de ces études à l’opinion publique, de proposer des mesures d’amélioration et de mener toutes les actions en vue de la mise en œuvre par le Gouvernement et le Parlement des mesures proposées ». Pour faire bref : un mélange assez trouble de science et de lobbying. Mélange trouble et troublant : les « recherches » menées par l’Ifrap ont été plusieurs fois épinglées pour leur caractère biaisé, orienté et peu rigoureux, voire mensonger : le contraire d’une recherche scientifique [3]. (...)

L’Ifrap, « boîte à idées » multimédias

Il est donc d’autant plus aisé de comprendre les objectifs et les méthodes de l’Ifrap que la fondation utilise une recette classique en matière d’économie [5] : sous couvert d’expertise scientifique et de raison pure, elle ne relaie au final que ses thèses, en l’occurrence ultra-libérales et plutôt extrêmes [6]. On est donc pas étonné de trouver une section « L’Ifrap dans les médias » sur le site de la fondation : il s’agit cœur de son activité. Et force est de constater que la fondation s’active (...)

Omniprésence médiatique est une expression qui semble être faite pour l’Ifrap et son ubiquitaire directrice (depuis 2007) Agnès Verdier-Molinié, qui en est l’inépuisable porte-parole multimédia. Pour le mois de mars 2015 et le lancement de son livre, elle totalise huit passages à la télévision [7], cinq passages à la radio, en plus de son « débat » hebdomadaire sur Europe 1 le dimanche matin avec Éric Heyer [8]. Au moins huit articles de presse écrite ont également été consacrés à la sortie de ce livre [9]. À comparer à la couverture médiatique dont bénéficient les ouvrages d’économie en général (et celle des ouvrages « hétérodoxes » en particulier)…

Il n’est bien sûr pas question de contester aux médias la possibilité de relayer les thèses qu’ils souhaitent exposer, que ce soit pour les soutenir ou pour les discuter. Mais un véritable problème se pose lorsque ces thèses, sont abondamment diffusées dans de nombreux médias sous l’apparence de l’expertise et de la neutralité, a fortiori lorsqu’il s’agit de médias publics. Ce problème a un nom : il s’agit de propagande. (...)