
Tout historien sait qu’il est bien ardu d’apprendre des erreurs du passé, alors même que les « prêt-à-penser », commodes et recyclables, servent trop souvent de bouées de sauvetage intellectuelle. Ce qui est vrai en période « normale » le devient encore plus en période de crise, a fortiori révolutionnaire.
Les bouleversements en cours au Moyen-Orient ont amené ainsi certains commentateurs, par ailleurs mieux inspirés, à relancer l’idée d’un Iran « gendarme » de la région. Rappelons que cette vision renvoie au statut de l’Iran du Shah, investi par les administrations Nixon, Ford et Carter d’une telle mission de « gendarme », avant de s’effondrer sous les coups de la Révolution islamique en 1979.
Le sort calamiteux réservé au « gendarme » iranien en 1979 devrait être médité par les analystes et les commentateurs d’aujourd’hui. Ils verraient que l’Iran n’a jamais été un « gendarme » en soi, mais le tenant d’un ordre idéologique à visée expansionniste, avec à chaque fois un « allié » stratégique à défendre coûte que coûte au nom d’une solidarité entre régimes, et non d’une affinité religieuse.
Hier contre les marxistes (...)
La barbarie sauvage de la contre-révolution arabe, entre autres en Syrie, est à la mesure de la panique de ces régimes prêts à sacrifier peuple et nation à leur propre survie.
L’Iran a décidé, pour conforter sa propre dictature à la fois théocratique et policière, de jouer la partition de la contre-révolution, avec quelques variantes nationales. Le jeu destructeur de Téhéran en Syrie est largement responsable des deux cent mille morts qui sont déjà tombés dans ce malheureux pays. On sait moins que, outre Assad, l’Iran collabore activement avec Ali Abdallah Saleh, le dictateur déchu du Yémen, contraint de céder le pouvoir à Sanaa en février 2012. (...)
Ces peuples en lutte ont bien du mal à entrer dans le champ de vision des « experts » d’une diplomatie metternichienne, donc obsolète, qui ne croient qu’aux « monstres froids » des Etats, en invoquant Kissinger d’un air entendu.
C’est à la faveur de cet angle mort de la vision internationale que l’Iran peut faire valoir aujourd’hui ses supposés titres de « gendarme » d’une région qu’il a pourtant contribué à mettre à feu et à sang. (...)
Tant pis pour les nostalgiques des dictatures arabes, ils ont bel et bien perdu, avec l’entrée en crise durable de ces régimes faillis, à la fois leurs grilles d’analyse et leurs rentes de situation.
Mais la cause est entendue : il n’y aura plus de « gendarme » du Moyen-Orient.
L’Histoire de la région en sera désormais écrite par ses peuples, pour le meilleur et pour le pire. Laissons le mot de la fin à la lumineuse Tawakkol Karman, car ce qu’elle dit pour son pays vaut pour l’ensemble du monde arabe.
« La France est devenue ce qu’elle est grâce à une révolution qui a duré des dizaines d’années. Nous sommes déterminés à donner au Yémen la liberté, l’égalité, la citoyenneté et l’Etat de droit ».