
Une trentaine de doctorant.es chauffé.es à blanc par le mouvement social s’est constituée en collectif des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Si l’initiative n’est pas nouvelle, il semblerait que ce mouvement-là ait plus de chances de s’instaurer durablement et de redonner des couleurs au tableau bien terne des universités lilloises. Focus sur les raisons de la colère des petites mains de l’université.
(...) On ne compte plus les annonces socialos qui affirment vouloir rompre avec les politiques sacrificielles menées par la droite depuis presque deux décennies. Pourtant, l’enseignement supérieur et la recherche continuent d’être un véritable laboratoire de l’austérité et de la précarité.
Vacataire : le salaire de la misère
Les conditions d’emploi à l’université feraient pâlir d’envie les plus macroniens patrons du privé. Si les CDD ont explosé ces dernières années, l’usage de la vacation constitue la poule aux œufs d’or des DRH d’établissements. Les chiffres sont éloquents : 2,9 millions d’heures d’enseignement au niveau national sont assurées par des vacataires – soit l’équivalent de 15 104 postes de maître de conférences non créés1. Payés tous les six mois, la plupart du temps doctorant.es ou docteur.es sans poste, les vacataires ne sont rémunéré.es qu’à l’heure de présence en cours. (...)
Le collectif des chargé.es de travaux dirigés vacataires en droit de l’université de Bordeaux a fait le calcul : leur rémunération horaire s’élève à 5,94 euros brut soit… 3,59 euros sous le taux horaire du salaire minimum légal. À la faculté de Droit de Lille 2, l’enseignement de science politique atteint des records, avec plus de 60 % des enseignements assurés par des non-titulaires, dont 10 % de vacataires (sur le total, hein). Or, la pratique est illégale3, les vacations ne devant servir que pour des tâches ponctuelles et non renouvelées. (...)
La difficile mobilisation des précaires
Si se faire payer en temps et en heure est un chemin de croix, il est tout aussi difficile de construire un engagement collectif. Outre la quête effrénée d’heures de travail sous-payées, parfois dans plusieurs universités, ces travailleurs.ses réunissent un certain nombre de tares : activité solitaire, absence de local de travail, cumul de plusieurs contrats souvent dans des lieux différents, sentiment d’illégitimité, chantage à l’emploi, invisibilisation et non-reconnaissance de leur travail par la majorité des « statutaires »… La mise à l’épreuve des novices dans le milieu de la recherche est multiforme et dure jusqu’à ce qu’ils accèdent – le cas échéant – au Graal de la titularisation (...)
Au-delà du flouze, le recours massif à la vacation signifie la fin de la cohérence du contenu des enseignements. Embauché.e au coup par coup, en fonction des besoins et sans aucune réflexion, le ou la vacataire se retrouve bien souvent éloigné.e de toute équipe pédagogique. Ces particules flottantes perdues dans le dédale des couloirs des facs construisent leurs cours seul.es, sans possibilité de s’inscrire dans une continuité avec l’enseignant.e précédent.e. Il est alors très difficile de créer des liens avec les étudiant.es, victimes collatérales de la précarisation de l’université. Dans ce désert des relations humaines, c’est marche ou crève. Et si tu galères, l’avantage c’est que personne ne le sait !
L’invisibilité des précaires est d’ailleurs orchestrée en haut lieu (...)
Les structures institutionnelles du précariat
C’est que la précarité est inscrite dans les structures même de l’ESR. D’un côté, les gouvernements successifs ont renforcé le poids de l’Agence nationale de la recherche (ANR), temple du financement de la recherche française. Incarnation de la logique de projets propre à l’idéologie néolibérale, cette agence met en concurrence les enseignant.es-chercheurs/ses obligé.es de répondre à des appels à projet chronophages pour financer leur recherche5. Au-delà du gâchis de travail des titulaires, cette autorité administrative démultiplie les contrats précaires en raison de la courte durée des périodes de financement. Pendant ce temps, le nombre de créations de postes de titulaires a baissé de 30 % depuis 20106. L’ANR, véritable machine à gaz dont le personnel est également composé de 32 % de CDD, consume à elle seule 33,3 millions d’euros en fonctionnement. Critiquée tant par les travailleurs/ses de l’ESR que par les différents gouvernements, elle demeure néanmoins un horizon indépassable.
Au-delà de la recherche, les dernières réformes de l’université sont du même acabit. La non moins fameuse loi relative à l’autonomie des universités (LRU), fort critiquée par la gauche lorsqu’elle était dans l’opposition, est pourtant maintenue par le gouvernement Hollande. Instrument de la décrépitude universitaire, elle organise la concurrence entre les établissements. (...)
Avec un des plus faibles taux de syndicalisation du service public, le corps des fonctionnaires de l’ESR encaisse les coups des réformes successives quasiment sans broncher. C’est que les logiques d’évaluation individuelle mises en place par le ministère pour déterminer les avancements attisent la concurrence et renforcent une profession déjà très individualiste.
La « démocratie universitaire » n’y est d’ailleurs d’aucun secours. Entre l’empilement de structures administratives plus opaques les unes que les autres et la concentration des pouvoirs dans les mains des président.es d’université, garant.es de l’orthodoxie budgétaire, tout est fait pour que le précariat ferme sa gueule. (...)
Le réveil des précaires
Pourtant, depuis deux mois, le collectif des précaires lillois.es est de nouveau bien vivant. Le 5 avril 2016, dans un amphithéâtre du bâtiment M1 de Lille 1, quelques dizaines de précaires des universités de Lille 1, 2 et 3 se sont constitués en collectif « avec pour objectif le retrait de la loi travail, et l’amélioration des conditions d’enseignement et de recherche des non-titulaires de l’ESR »7.
Porté.es par le mouvement social, des doctorant.es des trois universités lilloises se réunissent toutes les semaines en AG et multiplient les actions. Leur faiblesse numérique relative est compensée par les coups de main donnés par d’autres collectifs mobilisés et tout particulièrement les étudiant.es de l’amphi Archimède. Et le collectif rend la pareille. La convergence des luttes, c’est aussi la mutualisation de la force du nombre. (...)
« On lâchera rien »
Le collectif continue sa lutte et multiplie les actions. Une coordination nationale s’est structurée autour des collectifs des université de Lille, Amiens, Nantes, Paris, Aix-Marseille, Strasbourg, Toulouse, Grenoble ou encore Bordeaux. Chaque collectif s’invite partout où les précaires ne sont pas invité.es. Récemment, ils et elles ont investi le CNAM où Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur, tenait une conférence lors du forum « Science recherche société »10. Le gouvernement doit désormais compter, au rang des luttes organisées, celle de l’université précaire.