
Venus de régions du monde frappées par les guerres ou la misère, ils ont atterri en France. Ils ont moins de 18 ans, sont livrés à eux-mêmes, à des milliers de kilomètres du pays qui les a vu naître et, brièvement, grandir. Depuis l’évacuation de la « jungle » de Calais, les mineurs isolés étrangers défient la chronique.
Dans quelles conditions sont-ils accueillis ? Éducateur spécialisé à proximité de Paris, Mathieu les voit défiler depuis plusieurs années. Chargé de les aiguiller au gré des dispositifs d’aide sociale, d’hébergement ou d’insertion, il connaît par cœur ces enfances si singulières. L’espace d’une journée, Basta ! a accompagné le travailleur social, et rencontré plusieurs de ses jeunes protégés. (...)
Seul, il doit s’occuper de 140 enfants et adolescents de 8 à 18 ans, venus pour l’essentiel d’Afrique de l’Ouest, du Pakistan et de l’Afghanistan. C’est à lui qu’il revient d’évaluer chaque mineur, pour décider leur entrée ou non au sein du dispositif de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Il doit veiller ensuite à ce qu’hébergement et repas soient assurés aux jeunes pris en charge. Il doit enfin prévoir leur suivi éducatif, administratif et sanitaire. Pour y parvenir, pour quelques semaines encore, il est secondé par une stagiaire énergique et passionnée.
Fragments de vies dissimulées
Depuis quelques semaines, Mathieu livre sur un réseau social quelques fragments de ses échanges avec les jeunes qu’il a en charge : chacun d’entre eux semble faire partie d’un chœur d’errances, d’angoisses et d’espoirs, de rires aussi, quelquefois. On devine surtout, derrière la froide rigueur du professionnel, que les souffrances passées des adolescents et leurs incertitudes présentes trouvent un écho dans la rude nécessité d’assurer l’essentiel, et le regret de ne pouvoir accorder toute l’attention requise à ces enfants déracinés. Ces derniers ont souvent rejoint seuls un monde dont ils ne connaissaient pas les règles, dont la langue leur est parfois totalement inconnue. Pour espérer s’y faire une place, ils ne pourront compter sur aucun soutien individuel quotidien. Cette limite, l’éducateur la résume en une phrase : « Je ne vends pas du rêve. » (...)
Des jeunes, il en voit passer 300 par an. Seule une minorité finit sous sa responsabilité. Il sait les prénoms de chacun et surtout, il connaît toutes leurs histoires. « Le week-end, je ne vais pas au centre-ville, sinon, je me remets à travailler. » Souvent, le matin, des adolescents l’attendent devant l’école de ses enfants. « Ils ne veulent rien, ils n’ont rien de particulier à me dire, ils sont là, c’est tout. » À chacun, il répète inlassablement : « Même si tu es dehors, même si tu n’as rien à manger, il faut que tu tiennes. »
En huit ans, aucun n’a connu de retour forcé au pays, mais certains sont passés plusieurs fois par le centre de rétention. « Parmi les 300 jeunes majeurs, nous n’avons que trente OQTF », me dit-il, comme pour souligner que la situation n’est pas désespérée. « Tu vois, c’est terrible : on en vient à se dire que trente jeunes menacés d’expulsion après des années passées en France, au fond, ce n’est pas si grave. » A quelques centaines de kilomètres plus au Nord, à Calais, l’évacuation de « la jungle » se termine. Parmi les milliers de réfugiés, 1500 mineurs isolés. Certains croiseront peut-être le chemin de Mathieu.