
Un collectif de près de dix-neuf organisations, syndicats et associations parmi lesquelles l’Unicef, Médecins du monde, le Gisti ou la Cimade, a contesté devant le Conseil d’Etat, jeudi 28 février, un décret qui durcit les conditions de prise en charge des mineurs isolés étrangers au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Cette démarche contentieuse est une première pour l’agence onusienne.
« Une ligne rouge a été franchie avec ce texte, qui nous semble constituer un recul historique pour les droits des enfants et la protection de l’enfance à des fins de lutte contre l’immigration », justifie Sébastien Lyon, directeur général d’Unicef France.
Issu de la loi asile et immigration et entré en vigueur le 31 janvier, le texte avait suscité dès son examen au Parlement une vive controverse, car il modifie les modalités d’évaluation de la minorité d’âge des enfants migrants arrivant seuls sur le territoire français, communément appelés les « mineurs non accompagnés » étrangers.
Dans certains départements, ces coopérations entre l’ASE et les services de police existent déjà, mais le gouvernement entend les étendre à l’ensemble du territoire. Il crée en outre un fichier biométrique réunissant les données sur ces mineurs. (...)
« Il y a des soucis dans l’établissement de documents dans certains pays, convient Franck Ozouf, du Secours catholique, association requérante. Mais les jeunes ne peuvent pas en être tenus pour responsables, et cela ne permet pas de conclure qu’ils ne sont pas mineurs. »
L’inquiétude des associations porte aussi sur le nouveau fichier biométrique national recensant les personnes se déclarant mineures. Grâce à celui-ci, les autorités pourront repérer les jeunes qui se présentent dans plusieurs départements et les empêcher de repasser une évaluation. (...)
Selon un rapport public de 2018, les taux de reconnaissance de la minorité varient de 9 % à 100 % d’un territoire à l’autre. (...)
Surtout, le décret prévoit que les préfectures seront automatiquement avisées lorsqu’un jeune est évalué majeur. Elles pourront ainsi engager aussitôt des mesures d’éloignement du territoire. (...)
« Il y a un effet dissuasif évident »
La décision de l’ASE n’est en effet pas définitive, et le jeune peut saisir le juge des enfants pour la contester. Aucune donnée publique globale n’existe sur le sujet, mais, à Paris par exemple, l’un des principaux départements d’accueil des mineurs isolés, un jugement sur deux a infirmé l’évaluation initiale de l’ASE en 2016 et 2017, d’après le Conseil national des barreaux. (...)
le décret est actuellement expérimenté dans quatre départements (l’Isère, le Bas-Rhin, l’Essonne etl’Indre-et-Loire), avant un déploiement au niveau national prévu en avril. La Seine-Saint-Denis et Paris ont déjà annoncé qu’ils ne l’appliqueraient pas, refusant d’être des « supplétifs de l’intérieur ». (...)
De plus, dénonce Jean-François Martini, juriste au Gisti, « il y a un effet dissuasif évident pour ces jeunes, qui ont souvent eu maille à partir avec les polices des pays qu’ils ont traversés, et à qui on va expliquer qu’il faut d’abord passer par la case préfecture et que toutes leurs données pourront être utilisées dans le cadre d’une procédure d’éloignement ».
Outre le recours en annulation devant le Conseil d’Etat, assorti d’une question prioritaire de constitutionnalité, une demande de suspension du décret a été déposée jeudi devant le juge des référés, en plaidant l’urgence.
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