
Interview d’Elisende Coladan par Francine Sporenda
Elisende Coladan est praticienne en sexothérapie spécialisée en psychothérapie féministe, psychotrauma, et neuroatypies. Elle est née à Barcelone, a vécu au Chili, El Salvador, Maroc, Costa-Rica et en France. D’abord archéologue spécialisée dans l’étude des représentations rupestres en Amérique Centrale, elle a fait des recherches et de nombreuses publications sur ce sujet. Elle a aussi été enseignante en Français, histoire et littérature latino-américaine. Rentrée en France en 2008, elle a d’abord enseigné le Français langue étrangère puis s’est formée en sexothérapie, psychothérapie féministe et psychotrauma. Elle accompagne des femmes en thérapie féministe depuis 2017.
FS : Vous êtes « thérapeute féministe ». Comment définiriez-vous cette pratique particulière ?
EC : Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il s’agit d’une pratique. La thérapie féministe est née dans les années 70 aux Etats-Unis, au Canada et dans certains pays européens [1]. Les termes généralement employés pour en parler sont ceux d’approche, de perspective, de regard féministe en thérapie. En fait, il s’agit d’intégrer les théories féministes à des pratiques thérapeutiques déjà existantes. Dans mon cas, je l’ai initialement intégrée à mon accompagnement en sexothérapie, notamment en allant me former en psychothérapie féministe en Espagne. Dans ce pays, lorsqu’une personne se présente comme professionnelle féministe (que ce soit, avocate, gynécologue, assistance sociale, psychologue, sexothérapeute, ou autre), cela veut dire qu’elle peut reconnaitre les mécanismes patriarcaux de domination et d’oppression ainsi que leur impact sur la vie et la santé mentale. Généralement, elle fait partie d’un collectif, d’une association ou d’une organisation dans lesquelles il y a des formations, des supervisions et des mises-en-commun des pratiques. Dans les pays hispaniques, depuis au moins une dizaine d’années, il existe des formations en psychothérapie féministe (y compris un master à l’Université de Barcelone [2]).
C’est lors de ma formation en sexothérapie, à Paris, il y a aujourd’hui dix ans, que j’ai pris conscience de la nécessité d’une approche féministe en thérapieInterview d’Elisende Coladan par Francine Sporenda
Elisende Coladan est praticienne en sexothérapie spécialisée en psychothérapie féministe, psychotrauma, et neuroatypies. Elle est née à Barcelone, a vécu au Chili, El Salvador, Maroc, Costa-Rica et en France. D’abord archéologue spécialisée dans l’étude des représentations rupestres en Amérique Centrale, elle a fait des recherches et de nombreuses publications sur ce sujet. Elle a aussi été enseignante en Français, histoire et littérature latino-américaine. Rentrée en France en 2008, elle a d’abord enseigné le Français langue étrangère puis s’est formée en sexothérapie, psychothérapie féministe et psychotrauma. Elle accompagne des femmes en thérapie féministe depuis 2017. (...)
en recevant des femmes en consultations, j’ai constaté que derrière la grande majorité des problèmes sexuels, il y avait des violences. (...)
Ma première formation en psychothérapie féministe, à Barcelone, en 2017, m’a permis de comprendre comment la prétendue neutralité du.de la thérapeute, n’en est rien. Demander qu’une femme en thérapie comprenne « par elle-même » qu’elle a vécu des violences ou l’aider à surpasser ces évènements, sans en avoir un éclairage féministe, c’est la laisser sans défense, la mettre en danger d’être retraumatisée et de se demander inlassablement « ce qui ne va pas chez elle ». J’y ai vécu des mises en commun avec d’autres collègues de nos expériences en tant que femmes et thérapeutes, ce qui a été très puissant. Toutes, sans exception, avions vécu des violences, notamment sexuelles. Certaines, depuis l’enfance. Cela m’a permis de comprendre combien il était pertinent, en consultation, de dire « je vous comprends, j’ai vécu une expérience similaire. Vous n’êtes pas la seule, nous sommes nombreuses ». Ce qui permet de montrer l’aspect systémique des violences machistes.
Un des axes de l’approche féministe en thérapie c’est d’instaurer une alliance thérapeutique la plus horizontale possible. (...)
Un autre point à considérer, est le financier : la thérapie féministe devrait être accessible à toutes celles qui le souhaitent. C’est ainsi qu’un bon tiers des femmes que j’accompagne ne paient pas le tarif plein de la consultation. Certaines qui passent par de grandes difficultés financières ne paient rien ou juste à hauteur de ce qu’elles peuvent. Ayant vécu très longtemps en Amérique latine, il est indispensable, pour moi, comme cela est déjà arrivé, de donner la possibilité aux femmes en situation dite irrégulière en France, de pouvoir avoir un suivi.
Un autre aspect de la thérapie féministe est l’importance du groupe. Avant 2020, j’ai animé des groupes de parole féministe à Paris et depuis l’an dernier, j’en anime un, bénévolement, pour le collectif féministe du Vallespir (où j’habite), qui vient de se créer. (...)
Une grande majorité des approches thérapeutiques d’une part invisibilise les violences machistes et, d’autre part se centre essentiellement sur la personne, sa famille, son entourage, sans prendre en compte un contexte social beaucoup plus large, comme l’est le patriarcat et ses mécanismes de domination et d’oppression.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ce sont les femmes (environ 80%) qui majoritairement suivent une psychothérapie, qu’en France 85% des psychologues sont des femmes alors que la très grande majorité des courants ou pratiques en psychologie ont été et sont encore proposés principalement par des hommes. Ce qui revient à dire que nous confions notre santé mentale à des approches pensées par des hommes. Il y a de quoi s’interroger, n’est-ce pas ?
D’autant plus qu’un très grand nombre de psy, au sens large, ont encore du mal à entendre et donc à reconnaître ce qui concerne l’inceste ou bien les violences sexuelles, qui touchent principalement les femmes, certaines depuis l’enfance. Je cite rarement des ouvrages écrits par des hommes, mais celui-ci me paraît essentiel : « Ils ne savaient pas… : Pourquoi la psy a négligé les violences sexuelles » de Bruno Clavier. (...)
Une grande majorité des approches thérapeutiques d’une part invisibilise les violences machistes et, d’autre part se centre essentiellement sur la personne, sa famille, son entourage, sans prendre en compte un contexte social beaucoup plus large, comme l’est le patriarcat et ses mécanismes de domination et d’oppression.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ce sont les femmes (environ 80%) qui majoritairement suivent une psychothérapie, qu’en France 85% des psychologues sont des femmes alors que la très grande majorité des courants ou pratiques en psychologie ont été et sont encore proposés principalement par des hommes. Ce qui revient à dire que nous confions notre santé mentale à des approches pensées par des hommes. Il y a de quoi s’interroger, n’est-ce pas ?
D’autant plus qu’un très grand nombre de psy, au sens large, ont encore du mal à entendre et donc à reconnaître ce qui concerne l’inceste ou bien les violences sexuelles, qui touchent principalement les femmes, certaines depuis l’enfance. Je cite rarement des ouvrages écrits par des hommes, mais celui-ci me paraît essentiel : « Ils ne savaient pas… : Pourquoi la psy a négligé les violences sexuelles » de Bruno Clavier. (...)
il y explique clairement les raisons du déni concernant ces violences, qui remonte aux théories psychanalytiques, où l’enfant victime d’agressions sexuelles est considérée comme l’initiatrice/séductrice, sans oublier l’idée de fantasmes, donc d’imaginaire, là où il y a eu réellement des violences sexuelles. Cela a fait et continue à faire des dégâts considérables en ce qui concerne la santé mentale, notamment des femmes. Avec les idées de faux souvenirs ou de délire, qui viennent museler la parole des victimes ou des diagnostics qui amènent à médicaliser pour calmer des symptômes, sans tenir compte de l’histoire de vie de la personne et des violences subies. Il y a encore trop de psys ou de thérapeutes qui, même avec une formation en psycho-traumatologie, sont dans l’impossibilité d’entendre certains propos, les minimisent ou n’en tiennent simplement pas compte. Pourtant, ces pratiques thérapeutiques, dont l’EMDR [6] ou l’ICV ∫[7] (dans laquelle je suis en train de me former) se prêtent parfaitement à l’approche féministe en thérapie et sont absolument nécessaires, notamment parce qu’elles permettent de comprendre ce que les violences font au cerveau et contribuent efficacement à le soigner.
Actuellement, je continue à me former en Espagne, notamment en psychotrauma, car je ne peux pas envisager de me former autrement qu’avec une perspective féministe. J’espère qu’un jour des formations similaires se feront en France. (...)
lorsqu’elle décide de quitter son partenaire, c’est ce dernier qui a le plus à perdre et il lui semble inconcevable de se retrouver seul. Il y a principalement deux moments où les violences surviennent ou s’intensifient, lors de la grossesse et des premiers mois de l’enfant et lorsqu’une femme décide de mettre fin à une relation. Cela devrait porter à réfléchir. Il y a un gouffre entre l’illusion que nous vend l’amour romantique avec notamment le modèle « d’escalator relationnel » [8] où tout commence par une passion merveilleuse pour arriver à la « parfaite » famille heureuse. Tous ces contes de fées qui terminent par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ont trop souvent une fin très différente, qui va de la lassitude chez de nombreuses femmes, une extrême fatigue et l’impression d’avancer comme un « robot » ou une « zombie », comme je l’entends souvent, à des relations de plus en plus violentes, où leur confiance en elles est bafouée, qui leur demandent des années pour se reconstruire après une séparation et qui se terminent souvent dans une grande précarité financière. (...)
un des grands mythes de l’amour romantique est celui qu’aimer c’est souffrir. Cependant, je ne parlerai pas de masochisme dans ce cas, vraiment pas. Il n’y a pas de plaisir dans la souffrance des femmes, contrairement à ce que la psychanalyse a essayé de nous faire croire. Il y a aliénation de soi à cause des mécanismes d’emprise, il y a dissociation due aux violences et traumatismes vécus. (...)
après avoir perdu l’idéal du prince charmant, un autre est apparu : celui de l’homme féministe déconstruit, qui saura nous comprendre et sera notre allié. Une nouvelle fois, ce n’est qu’illusion. Même si un certain nombre d’hommes, notamment chez les plus jeunes, peuvent lire des livres féministes, aller dans des manifestations et participer à des conversations sur le sujet (où, cependant, ils ont tendance à vouloir montrer qu’ils en savent autant ou plus que nous) ou faire leur part de tâches ménagères, rien ne change vraiment dans les faits, surtout dans la sphère intime. Ce sont les femmes qui portent la charge mentale du couple, y compris celle du changement de leur partenaire. Je connais plus d’un exemple où, tout compte fait, l’homme a quitté sa compagne féministe, lassé par ce changement qui lui était demandé et il est allé vers une autre « moins pénible » à ses yeux.
Je considère que « l’homme féministe » est juste une nouvelle représentation patriarcale destinée à nous séduire, à faire baisser nos défenses pour finalement reproduire un grand nombre de mécanismes machistes, comme celui de mieux nous expliquer le monde (féministe) que nous pourrions le faire nous-mêmes et continuer à imposer leurs besoins dans la vie quotidienne et la sphère intime, avec des répercutions bien au-delà. Une femme qui va mal, qui se pose constamment des questions sur elle-même ou sur les raisons pour lesquelles sont couple dysfonctionne, risque d’être moins performante au travail ou moins disponible pour ses amies, ou pour des activités qui lui sont propres. (...)
Que ce soit pour y trouver l’amour ou pour un coup d’un soir, ce qui se passe sur les sites de rencontres mérite vraiment que l’on s’y attarde. Ils agissent comme de véritables « accélérateurs de particules » de la violence machiste. Je vois depuis plusieurs années des articles et des livres, écrits par des féministes, sur les ravages du porno. Il n’y en pas beaucoup concernant les sites de rencontres et cela me parait nécessaire, car les deux sont liés. Les témoignages sont nombreux de véritables stratégies qui sont mises en place pour mettre la femme en confiance, jusqu’à l’amener à une rencontre sexuelle qui reprend des scénarios du porno. L’effet surprise peut amener à ce que la femme vive une dissociation qui fait qu’elle accepte ce qu’elle n’avait jamais imaginé et qu’elle pense même y trouver du plaisir. (...)
Là aussi, il y a des dégâts considérables, notamment du point de vue de la santé sexuelle et mentale. (...)