
En janvier 2016, Albi annonçait un projet ambitieux et vite médiatisé : la préfecture du Tarn, 51.000 habitants, parviendrait à l’autosuffisance alimentaire en 2020. Mais le peu d’avancées et l’insuffisance du foncier agricole disponible font douter de la volonté de la mairie. Alors qu’elle destine des terres arables à la construction d’un centre commercial.
Car si l’échéance se rapproche, l’objectif, lui, s’éloigne de mois en mois. C’est fin 2014 que la genèse du projet germe dans la tête de deux hommes : Henri Bureau, ancien président des Incroyables Comestibles d’Albi, et Jean-Michel Bouat.
Cet élu, qui se considère comme un radical valoisien, « un écolo centriste », est chargé de l’agriculture urbaine à Albi. L’idée du duo est de produire fruits, légumes, céréales, viande en quantité suffisante dans un rayon de 60 kilomètres autour de la ville. En janvier 2016, le projet acté entre la mairie et l’association des Incroyables Comestibles prend une tournure très officielle. Les 21 et 22 janvier, la ville d’Albi organise les Journées comestibles. Le plan pour une « marche vers l’autosuffisance alimentaire » est alors célébré en fanfare. (...)
Pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire, la municipalité veut s’appuyer sur des acteurs bien précis. Outre le mouvement des Incroyables Comestibles d’Albi et leurs jardins potagers, la mairie compte aussi sur le lycée Fonlabour, l’établissement agroenvironnemental de la ville. La structure gère en effet plusieurs sites d’exploitation dans le Tarn. (...)
Situé en bordure du Tarn, le site de Canavières est au cœur du plan d’autosuffisance alimentaire. C’est ici que la mairie a commencé à acheter des terres pour installer des maraîchers. Ces derniers devront fournir les Albigeois en légumes. Sur le papier, le dispositif a de quoi séduire. Les maraîchers, au nombre de quatre pour le moment, ne paieront pas de loyer les deux premières années d’exploitation, et cultiveront leurs espaces selon les méthodes de l’agriculture biologique ou de la permaculture. (...)
Sur place, des piquets délimitent des terrains couverts de paille et de feuilles, mais où ne pousse aucun légume. Les parcelles d’un peu plus d’un hectare au maximum accordées par la ville sont encore vierges de tout aliment comestible. Les maraîchers expliquent que la mairie ne communique pas sur les faits. « Nous sommes encore en phase d’observation », explique Tatiana. Dominique Anaïs, qui s’est installée l’an passé au printemps, ne dit pas autre chose. « Nous travaillons au rythme de la nature ; là, on vient tout juste de démarrer. Il y a un temps d’adaptation, de mise en place », avance-t-elle. De son côté, Jean-Gabriel Pelissou est plus confiant sur l’avancement du projet. Depuis son arrivée, en juillet dernier, ce passionné de permaculture a effectué un gros travail de transformation de sa friche. Il pense être bientôt en capacité de produire des oignons, des fèves et des salades.
À Canavières, le seul dont les légumes remplissent déjà des cageots est Jacques Morlat. Son projet de maraichage, bien antérieur aux visées municipales, lui a donné une longueur d’avance. (...)
la ville, qui a préempté les 73 hectares du site de Canavières, attend que de nouvelles terres du site soient mises à la vente. À Albi, il y a bien un autre terrain qui pourrait offrir des hectares en plus, mais l’évoquer fait grincer bien des dents. Car les terres de la Renaudié, juste en périphérie de la ville, sont depuis de longs mois l’enjeu d’une bataille entre les pouvoirs publics locaux et des groupes de citoyens. Le nœud du problème : 10 hectares cultivables qui entourent une ferme en terre crue du XVIIIe siècle. C’est ici qu’est prévue l’installation d’une grande surface de bricolage, première pierre d’une future zone commerciale. « La mairie affirme vouloir arriver à l’autosuffisance alimentaire en 2020 et dans le même temps, elle donne un permis pour bétonner 10 hectares de terres agricoles. Il y a une contradiction énorme. D’autant que lorsque l’on regarde ce qui se passe concrètement, on est sidéré par l’écart entre la communication qui est faite et la réalité du terrain. L’autosuffisance alimentaire, c’est le cloître Saint-Salvy — un endroit magnifique, mais de quelques mètres carrés seulement —, des parterres à l’université Champollion, et le site de Canavières », peste Bernard Bognier, membre de l’Aadur (l’Association albigeoise pour un développement urbain respectueux) et du collectif Des terres pas d’hyper, en lutte pour défendre les commerces de proximité et les terres agricoles des espaces périurbains. (...)
« Chaque fois que je lis un article sur l’autosuffisance alimentaire à Albi, ça me met hors de moi. Ce projet est une coquille vide par rapport à ce qui a été communiqué. Si la question est de savoir s’il y a un mouvement de recherche de l’autosuffisance alimentaire à Albi, je réponds oui. Mais si la question est de savoir si la mairie est vraiment impliquée, la réponse est négative. On aimerait que la mairie s’investisse et qu’elle arrête de communiquer sur ce qu’elle ne fait pas », lance Olatz Lekaroz, l’une des coprésidentes actuelles des Incroyables Jardiniers, le nom administratif du mouvement Incroyables Comestibles à Albi. (...)