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Greenpeace
L’avenir en demi-teinte
Article mis en ligne le 13 décembre 2015

Fumée blanche au Bourget. Enfin. Après plusieurs décalages successifs et des discussions ardentes jusqu’à la fin, la COP21 accouche d’un accord. La fin d’un rendez-vous important, à l’issue duquel tout, néanmoins, reste à faire.

(...) Pour toutes les équipes mobilisées de longs mois, quel que soit le contenu final du texte, l’adoption d’un accord est une victoire en soi, un soulagement au moins. Difficile de toujours rester objectif dans ces conditions. (...)

Selon qu’on pense relativement ou dans l’absolu, deux lectures différentes de l’accord peuvent être prononcées.

Si l’on pense relativement, on constate des « avancées ». D’abord, contrairement à Copenhague, un accord universel et contraignant, qui reconnaît la nécessité d’agir contre le réchauffement climatique, a été adopté. Bonne surprise, le texte mentionne même un seuil à 1,5°C qu’il faudrait tenter de pas dépasser comme objectif. La question climatique s’installe durablement dans le paysage diplomatique : une sorte de dynamique politique, au moins chez les élites, se forme.

Dans cette optique, le texte prévoit que toutes les parties, dès 2020, devront se retrouver tous les cinq ans avec obligation de renforcer leurs ambitions en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre – les fameuses contributions nationales (ou INDC, dans le jargon). Autant d’occasions pour la société civile de faire entendre sa voix et pour les États de s’aligner avec les évolutions sociales et technologiques en cours. Et surtout, de se coordonner entre eux. En fait, la constitution de cet agenda va permettre d’exercer une pression diplomatique – et publique – sur ceux qui ne font pas les efforts requis.

Mais si l’on pense dans l’absolu, alors l’accord n’est pas à la hauteur. D’abord parce que d’ici à 2020, nous restons avec les mêmes INDC, qui nous placent sur une trajectoire d’environ 3°C supplémentaires d’ici la fin du siècle nous faisant perdre un temps précieux et peut-être irrattrapable. Pire, à cause de la pression exercée par les États-Unis, ces INDC ne sont toujours pas formulés dans un langage juridiquement contraignant : libre à chaque État de proposer ce qu’il veut et de le réaliser s’il le veut.

En outre, l’interprétation de l’article 4, sans doute l’un des articles primordiaux du texte, laisse perplexe. Celui-ci fixe en effet l’objectif de long terme que se donnent collectivement les pays. On y trouve la « vision de long terme » sur laquelle devaient s’accorder les parties, condensée en une formule-clé : « [Les États] doivent réduire rapidement les émissions de manière à parvenir à un équilibre entre les émissions d’origine humaine et leur stockage dans la seconde moitié du siècle ». D’une part il n’est pas mentionné où se trouve le point d’équilibre exactement, d’autre part, il n’est pas fait état de date précise.

Enfin, cette formulation verse implicitement dans une tendance vers « zéro émission nette » en matière de gaz à effet de serre, ce qui laisse la porte ouverte aux meilleures solutions – les énergies renouvelables – comme aux pires : le stockage de carbone, la géoingénierie, les mécanismes de compensation divers. Par conséquent, elle ne suppose pas forcément de changer de système énergétique ou de modèle de société. Tout dépend le sens qu’on veut bien lui donner – ce qui permet aux pollueurs et à ceux qui défendent leurs intérêts, de leur donner le sens qu’ils voudront bien lui donner. Pratique.

Par ailleurs, nulle sortie des énergies fossiles n’est mentionnée explicitement, pas plus qu’une transition massive vers les énergies renouvelables. Si des financements pour l’adaptation des pays vulnérables au changement climatique sont assurés jusqu’en 2025, l’objectif d’obtenir 100 milliards par an ayant été prolongé, les choses demeurent très vagues sur le mécanisme qui permettra de les mobiliser réellement. Et la somme n’est pas à la hauteur. Selon l’ONG Oxfam, les pays en développement vont en effet avoir besoin d’environ 800 milliards par an d’ici à 2050 pour s’adapter au dérèglement climatique. C’est un peu comme si la réalité du changement climatique, son impact sur des millions d’existences précaires, n’étaient finalement pas pris en compte.

Enfin, la question des droits humains est à peine esquissée en préambule, la question des femmes oubliée, et des secteurs polluants de première importance, comme l’aviation civile ou le transport maritime, ne sont pas inquiétés puisqu’il n’est rien dit de la mobilité.

Pour le dire simplement : contrairement à celui de Copenhague, l’accord de Paris offre un cadre et des perspectives. Mais il est évident qu’aucun des négociateurs du Bourget n’est rentré chez lui hier soir en se disant que l’accord sur lequel il a travaillé pendant tout ce temps ne va suffire à limiter l’augmentation de la température à 1,5°C ou même 2°C. En réalité, les résultats de cette COP21 n’empêcheront pas la multiplication de phénomènes climatiques dangereux pour tous, et fatals pour certains.

Peut-être, au regard de ces signaux parfois contradictoires et de ces perspectives différentes, est-ce la formule du Guardian qui convient le mieux : « En comparaison de que cela aurait pu être, cet accord est un miracle. En comparaison de ce qu’il aurait dû être, c’est un désastre ». (...)

Hier après-midi, pendant qu’au Bourget les officiels discutaient des détails, des milliers de citoyens défilaient dans Paris, se géolocalisant afin de former un message pour la justice climatique, ou formant les lignes rouges à ne pas dépasser pour construire un monde vivable pour tous. Ces lignes n’ont pas encore pénétré les textes officiels. Mais elles existent dans la conscience d’un nombre croissant de gens ordinaires, dont la rencontre tisse le grand mouvement climatique de demain.

Sur le terrain, déjà les choses changent. La transition énergétique fait son chemin. Tout un chacun commence à changer ses habitudes. De grands acteurs économiques effectuent des progrès inattendus. Les campagnes contre la déforestation, pour les désinvestissements des énergies fossiles, pour la protection des océans prennent de l’ampleur.

La conclusion de ces deux semaines onusiennes est claire : les décideurs ne provoqueront pas le changement, ils suivront les changements provoqués par la société. A nous tous, donc, de prendre ce destin en main. C’est une lourde tâche, certes. Mais aussi une voie magnifique pour s’émanciper. (...)