
C’était en septembre à Montpellier. Elle s’appelait Doona. C’était en décembre à Lille. Elle avait 17 ans. Il faut des drames pour que la société s’intéresse au sort des jeunes personnes trans. Une société également clivée sinon outrée face à Lilie ou Sasha, deux petites filles qui ont récemment témoigné de leur transidentité, l’une dans diverses émissions de télé, l’autre dans le documentaire Petite fille de Sébastien Lifshitz.
Souvent incompris, méprises, discriminés, les enfants et les adolescent·es trans sont aussi invisibilisés, niés dans leur existence même. Comme le dit Paul Preciado dans une tribune en réponse à Élisabeth Roudinesco qui avait déclaré dans Quotidien qu’il y a « une épidémie de transgenres, qu’il y en a trop » : « Il y avait et il y a des enfants trans, je peux vous le dire et le confirmer car j’en étais un. Et je l’étais bien avant qu’il y ait ce que vous appelez “une épidémie des transgenres”, bien avant que la “théorie du genre” n’existe, bien avant que Judith Butler n’écrive Gender Trouble [Trouble dans le genre] et que j’entende le mot “transgenre”. Et j’ai dû survivre à la violence de grandir dans un monde où tout le monde ou presque était, comme vous, convaincu que nous n’existions pas et ne devions pas exister. »
La tribune rappelle que la transphobie a fait bien des victimes (...)
près de neuf élèves trans sur dix déclarent une expérience scolaire mauvaise ou très mauvaise, selon une enquête de 2018. Les témoignages abondent et montrent combien l’école française n’est pas formée ni même sensibilisée uniformément aux questions de transidentité, de non-binarité ou d’intersexuation. C’est ce que rapporte William, jeune homme trans : « J’ai fait mon premier coming out en terminale dans un lycée où j’étais depuis la seconde. Le directeur a simplement refusé que l’on m’appelle par mon prénom et que l’on me genre au masculin parce que c’était en cours d’année, et que soi-disant des professeurs auraient pu prendre ma transidentité en considération dans leur notation. J’ai parlé uniquement à deux professeurs en qui j’avais confiance. S’ils ne pouvaient pas utiliser les bons pronoms et prénom pendant le temps de la classe, ils passaient un maximum de temps à me légitimer dans mon identité. »
Thalia, jeune femme trans, témoigne également de ces disparités selon les professionnels de l’éducation (...)
« J’ai eu droit à des commentaires de profs au pire dégradants, au mieux de la “transphobie ignorante”. »
Milo, jeune homme trans
Un problème qui peut être lourd de conséquences : « Ça n’a pas été un problème pour moi parce que je m’entendais relativement bien avec tout le monde, mais cela aurait très bien pu être utilisé pour me harceler. Ma prof d’allemand faisait des remarques transphobes de manière récurrente en ma présence et en mon absence. (...)
En revanche, l’infirmière du lycée a été d’une assez grande aide. Elle était très bienveillante. J’ai même discuté plusieurs fois avec elle du sujet avant de faire mon coming out et malgré le fait qu’elle ne connaissait pas vraiment la transidentité, elle a essayé d’être à l’écoute et de me rassurer. »
On devine ici aisément l’impact de ces agressions qui relèvent d’une forme de maltraitance et peuvent, parfois, mener à une déscolarisation. (...)
En revanche, l’infirmière du lycée a été d’une assez grande aide. Elle était très bienveillante. J’ai même discuté plusieurs fois avec elle du sujet avant de faire mon coming out et malgré le fait qu’elle ne connaissait pas vraiment la transidentité, elle a essayé d’être à l’écoute et de me rassurer. »
On devine ici aisément l’impact de ces agressions qui relèvent d’une forme de maltraitance et peuvent, parfois, mener à une déscolarisation. (...)
Comme l’explique Clémence Zamora Cruz, de l’association Au-delà du genre, qui intervient au sein des collèges et des lycées : « Dans la majorité des cas, comme il n’existe pas de lignes directrices générales pour l’Éducation nationale, l’accueil des enfants et des adolescents trans se fait selon le bon vouloir des établissements. Certains font des efforts et se rapprochent des associations, d’autres sont très réticents. Il s’agit souvent de maladresses, d’une méconnaissance de la question, voire d’une négation de l’identité trans de l’enfant, ce qui crée des réactions conflictuelles. »
C’est afin de pallier l’ignorance de certains enseignants et permettre à tous d’offrir un accompagnement approprié aux jeunes trans que différentes associations assistées par des sociologues spécialistes des questions de genre et d’éducation ont récemment publié un document intitulé « Lignes directrices et des bonnes pratiques d’accompagnement des élèves trans lors d’une transition de genre en milieu scolaire ou en formation ».
L’enjeu est à la fois de sensibiliser et de donner des recommandations pratiques pour le quotidien. (...)
malgré la médiatisation –souvent maladroite– de la transidentité, les clichés perdurent et nuisent profondément à l’inclusion des jeunes. Certains s’imaginent que c’est un caprice, une phase, comme si les enfants et les ados trans choisissaient leur genre alors qu’il s’impose à eux. D’autres veulent des preuves institutionnelles et médicales pour agir, niant le droit à chaque personne de s’autodéterminer.
Une autre question se pose également : comment faire lorsque le ou la jeune n’est pas appuyé·e par ses parents ou que ces parents ne sont même pas au courant de sa transidentité ? Le corps éducatif a besoin de structures, de règles institutionnelles afin de répondre aux besoins des jeunes trans y compris non binaires, avec, comme le signale Gabrielle Richard, « un équilibre à trouver pour accompagner le jeune sans être directif : certains ont une conception de ce qu’est un “bon parcours trans” qui ne correspond pas aux réalité de chacun ». (...)
C’est là que le travail des associations concernées et leurs propositions concrètes sont particulièrement importants. (...)
Au sein des établissements scolaires, le nom d’usage choisi par l’élève doit se généraliser : « Il doit se mettre en place dès que la personne en ressent le besoin
En outre, qu’avons-nous à perdre à faire avancer la mixité et à laisser s’exprimer la fluidité du genre ?, c’est la personne concernée qui doit être centrale, précise la militante pour les droits des personnes trans. Nous demandons que les dossiers scolaires soient conformes à l’identité de la personne. Il faut également s’assurer qu’il n’y ait pas de barrière qui empêche le jeune de porter des vêtements qui correspondent à son expression de genre. »
Loin de se limiter à quelques détails, le changement de certains mots dans les règles de l’établissement scolaire peut significativement faire bouger les lignes. Par exemple, si le règlement intérieur stipule que les filles ne doivent pas porter de minijupes, remplacer « filles » par « élèves » est déjà un grand pas. Il faut également tout faire pour que les jeunes trans aient accès aux activités sportives et parascolaires comme les autres. Cela passe vraisemblablement par davantage de mixité.