
Et si la sixième extinction de masse se passait dans nos assiettes ? C’est le constat alarmant que dresse l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) dans un « état du monde » publié ce vendredi 22 février.
« La biodiversité, qui sous-tend nos systèmes alimentaires, à tous les niveaux, est en déclin dans le monde, avertit le rapport. Une fois perdues, les espèces de plantes, d’animaux et de microorganismes qui sont critiques pour nos systèmes alimentaires ne peuvent être récupérées. L’avenir de notre alimentation est donc gravement menacé. »
Voilà qui a le mérite d’être clair. (...)
La FAO avait déjà réalisé des évaluations mondiales de l’état des ressources génétiques chez les plantes, animaux domestiques, ressources forestières et aquatiques mais il n’existait aucun regard global sur l’ensemble de la biodiversité liée à l’alimentation. » Au bout du compte, cet état des lieux mondial s’intéresse à tous ces êtres vivants, de la bactérie au palmier en passant par la vache, qui contribuent à la production agricole.
Et donc mauvaise nouvelle, cette biodiversité ne va pas fort. Sur 6.000 espèces végétales cultivées à des fins alimentaires, neuf d’entre elles représentent 66 % de la production agricole totale. Plus d’un quart des races locales d’animaux d’élevage sont en danger d’extinction ; sur la quarantaine d’espèces animales domestiquées, la production de viande, de lait et d’œufs repose essentiellement sur quatre d’entre elles : bovins, ovins/caprins, porcins et volaille. Près des deux tiers des stocks de poissons ont atteint leur limite durable. Au-delà de cette diversité domestique, ce déclin sans précédent frappe aussi les pollinisateurs, les oiseaux, les chauves-souris et les insectes auxiliaires des cultures, ou encore les micro-organismes présents dans les sols.
« Les filières industrielles érodent la biodiversité. Leurs monocultures et leurs produits agrochimiques détruisent la biodiversité et les moyens de subsistance » (...)
À cela s’ajoute l’homogénéisation au sein d’une même espèce. (...)
Pour résumer, il y a donc de moins en moins d’espèces de plantes et d’animaux différentes, de moins en moins de variétés et de races différentes, et de moins en moins de différence génétique au sein d’une même race ou d’une même variété. (...)
Une alimentation peu diversifiée peut avoir de lourdes conséquences, alors que 800 millions de personnes souffrent déjà de malnutrition. » Les systèmes de production qui manquent de diversité peuvent être plus vulnérables aux chocs, tels que les épidémies de maladies et de ravageurs, que ceux dont les populations sont plus diversifiées. (...)
« Si une seule variété est largement cultivée, un ravageur ou une maladie auquel elle n’est pas résistante peut entraîner une chute spectaculaire de la production », précise le rapport de la FAO (...)
« Ce péril de la biodiversité n’est pas nouveau, les paysans et paysannes le ressentent et l’observent partout dans le monde », explique Bob Brac, de l’association Bede. Il a participé, au sein de la Coordination internationale pour la souveraineté alimentaire, à la rédaction d’une contribution des mouvements paysans au rapport de la FAO. (...)
À elle seule, la disparition des pollinisateurs pourrait affecter les trois quarts des cultures vivrières qui en dépendent pour se reproduire. (...)
Accaparements de terres, expansion des industries extractives, monopoles de l’agrobusiness sur les semences et les produits chimiques, multiplication des droits de propriété sur le vivant viennent compléter la dynamique mortifère. Sans oublier le changement climatique, « exacerbé par ce modèle », qui « exerce de nouvelles pressions sur la diversité locale des cultures et des animaux d’élevage, au fur et à mesure que les régimes climatiques se modifient, qu’apparaissent de nouveaux nuisibles et que prolifèrent de nouvelles maladies ».
« Si les producteurs, gardiens de cette biodiversité, sont fragilisés, voire clochardisés, au bout d’un moment, ils n’ont plus la possibilité d’entretenir cette biodiversité » (...)
Pour Julie Bélanger, il est encore possible d’enrayer le déclin : « Il y a un essor des initiatives et une volonté forte de changer les choses », observe-t-elle, tout en admettant que ces mesures soient pour le moment « insuffisantes ». « En Afrique de l’Est, le système du “push and pull” se développe rapidement, raconte-elle. Cela consiste à planter entre les rangs des cultures des plants qui attirent et piègent les insectes nuisibles, et en bordure d’autres qui attirent les insectes bénéfiques. »
Outre la diversification et le développement de pratiques agricoles plus vertueuses, telles l’agroécologie et l’agroforesterie, le rapport met en avant les efforts de conservation « hors site », c’est-à-dire dans des banques de gènes, des zoos, des collections cultivées, des jardins botaniques. Avec d’autres, Robin Goffaux réfléchit au sein de la section « ressources phytogénétiques » du comité technique pour la sélection : « Il s’agit d’identifier et d’accompagner les personnes et les structures qui préservent des variétés, en les cultivant ou en les gardant dans des conservatoires ou des banques de graines par exemple. »
Une approche « conservationniste » qui ne fait pas l’unanimité auprès des paysans, comme en témoigne Frédéric Latour : « La biodiversité est vue comme un stock de gènes à disposition des États et de l’industrie, et les paysans sont désormais considérés comme de gentils gestionnaires de ces ressources génétiques, analyse-t-il. D’un côté, on reconnaît leur rôle dans la conservation et le renouvellement de cette biodiversité cultivée, de l’autre on les maintient dépendant du système agro-industriel, qui lui a toujours la main mise sur la sélection et in fine sur le type de plantes cultivées en bout de chaîne. » Pour lui, une des clés du problème demeure les droits de propriété sur les semences (...)
« Ce sont les producteurs qui sont en relation directe avec le vivant, ils doivent être partie prenante des décisions politiques, des recherches et des mesures mises en œuvre. Et tout cela passe par l’organisation des communautés rurales. »