
Si, en plus d’être une fin en soi, l’égalité est « bonne pour » atteindre certains objectifs associés à des biens communs, cela nous donne des arguments au service de l’égalité et convaincre de nouveaux alliés. Jean Gadrey, économiste, répond au point de vue de Réjane Sénac publié sur notre site.
Avertissement : Ce texte est une réponse à celui de Réjane Sénac publié récemment sur ce site sous le titre « L’égalité n’a pas à être « performante » ». Une réponse nuancée car en réalité, sur le plan des principes, cette réponse exprime un accord total. On discute ici surtout du cas de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui n’est pas la seule à laquelle s’intéresse Réjane Sénac dans son article et dans son livre [1].
C’est juste : l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines devrait s’imposer comme objectif en soi. Ce n’est pas parce que la parité politique apporterait « un plus » aux formations politiques (un « plus » en influence, un « plus » électoral, etc.) qu’il faudrait l’imposer. Ce n’est pas parce que l’égalité professionnelle serait (peut-être) bonne pour les performances économiques des entreprises qu’il faudrait la défendre. Ce n’est pas parce que l’égalité des taux d’activité des femmes et des hommes serait bonne pour l’économie nationale ou pour le financement de la Sécu qu’il faudrait la promouvoir, etc.
Les droits humains (ou les impératifs écologiques) n’ont pas, en principe, à devoir prouver qu’ils sont « performants » ou qu’ils « rapportent », quel que soit le critère de performance ou de rendement. C’est même à certains égards « contre performant » pour la défense de ces droits, car si par malheur le respect de tel ou tel droit des humains ou de la nature avait un impact négatif sur telle ou telle performance économique (ce qui arrive), on risquerait de voir ce droit abandonné en rase campagne pour délit de non rendement.
Mais faut-il s’arrêter là au motif qu’on ne transige pas avec les principes de justice ? Voici trois arguments. (...)
– Premier argument : oui, l’égalité est une fin en soi, pas un moyen pour atteindre tel ou tel rendement économique ou politique devenant alors une fin supérieure. Mais, si on peut prouver qu’en plus d’être une fin en soi, l’égalité est « bonne pour » certains objectifs associés à des biens communs (la santé publique, le plein emploi de bonne qualité, le lien social, etc.), cela ne nous donne-t-il pas des arguments à mettre au service de la cause de l’égalité ? (...)
– Second argument, plus économique. Si on peut montrer (sérieusement) que, dans certains domaines, l’égalité est bonne pour les comptes publics et les comptes de la Sécu, ou que l’inégalité professionnelle des femmes et des hommes se traduit par des « manques à gagner » pour l’action publique, faut-il s’en priver en redoutant le risque d’une contamination des « vraies valeurs » par des valeurs monétaires ? Ce risque n’est pas nul, mais il peut être circonscrit en ne confondant pas les moyens et les fins.
– Troisième argument, le plus important. Dans une société idéale, on pourrait se passer de ces arguments complémentaires. Mais nous ne vivons pas dans des sociétés idéales. Il nous faut mener la bataille des idées en faveur de l’égalité avec, en face, des adversaires puissants, et, à côté de nous, des gens à convaincre. (...)