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Institut National de l’Audiovisuel (INA)
L’élargissement de l’OTAN, pomme de discorde entre Russie et Occident
Article mis en ligne le 1er mars 2022
dernière modification le 28 février 2022

Alors que Vladimir Poutine a lancé les troupes russes dans une vaste offensive contre l’Ukraine, jeudi 24 février, nous republions l’entretien qu’Anne de Tinguy, spécialiste de la Russie, nous avait accordé le 8 février à propos de l’élargissement de l’OTAN depuis la chute du mur de Berlin, un élargissement que Vladimir Poutine n’a de cesse de dénoncer comme une « trahison » de l’Occident vis-à-vis de la Russie

. Ses propos sont accompagnés de quatre archives de l’INA.

INA - Vladimir Poutine n’a de cesse de répéter que les Occidentaux ont « trahi » leurs « promesses » vis-à-vis de l’élargissement de l’OTAN au début des années 1990. Qu’en est-il ?

Anne de Tinguy - Dans les mois qui suivent la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, l’Europe vit un moment de bouleversement immense. Dès que les pays d’Europe centrale et orientale retrouvent leur liberté, ils se tournent vers l’Occident. La disparition du camp socialiste européen sape les fondements de l’empire soviétique. La réunification de l’Allemagne est un des éléments fondateurs de la fin de la guerre froide. Sur la question, majeure pour l’URSS de l’appartenance de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN, Gorbatchev a, tout au long de l’hiver et du printemps 1990, un discours très ferme : « une extension du territoire de l’OTAN serait inacceptable ».

Mais en définitive, il finit par accepter une réunification de l’Allemagne en n’ayant plus que des exigences très limitées. En juillet 1990, lors de ses conversations avec le chancelier Kohl, à la demande de celui-ci, il confirme que « l’Allemagne unifiée est membre de l’OTAN » en se contentant de demander qu’il n’y ait pas de troupes de l’OTAN sur le territoire de l’ancienne Allemagne de l’est pendant une période de transition, c’est-à-dire tant que des troupes soviétiques y seront stationnées.

Gorbatchev ne demande alors plus rien d’autre. Il ne demande d’engagement écrit ni sur la future architecture de sécurité européenne et sur la place que l’URSS pourrait y avoir, ni sur un éventuel élargissement de l’Alliance atlantique à l’est au-delà des frontières de l’Allemagne unifiée.

On peut donc considérer que la question allemande est le premier élargissement de l’OTAN à l’Est, effectué avec l’accord de Moscou. Il n’existe aucun document écrit de ces années cruciales de 1990 et 1991 qui fasse état d’une « promesse » occidentale donnée à l’URSS de ne pas élargir l’OTAN au-delà de l’Allemagne. Un recueil de documents sur « La question allemande » publié en 2006 par la Fondation Gorbatchev en témoigne.

Si cet engagement n’a pas été écrit noir sur blanc, a-t-il pu cependant être évoqué au cours de discussions diplomatiques ?

La question de l’élargissement à l’est de l’Alliance Atlantique n’a pas véritablement fait l’objet de discussions pendant ces mois cruciaux de 1990. Mais la question a en effet été évoquée oralement, les travaux de l’historienne Mary Sarotte le confirment. Elle l’a été en janvier 1990 par Hans-Dietrich Genscher, ministre fédéral des Affaires étrangères, et le 9 février par James Baker lors de sa rencontre avec Gorbatchev. Elle l’a aussi été un an plus tard, en mars 1991, par John Major, le Premier ministre britannique, qui déclare qu’il « ne voit pas qu’aujourd’hui ou demain les pays d’Europe de l’est puissent devenir membres de l’OTAN ». Des déclarations qui n’ont pas débouché sur des discussions entre Soviétiques et Occidentaux. (...)

l’URSS étant au bord de la faillite financière, obtenir des crédits de l’Occident, notamment de l’Allemagne, est alors une préoccupation majeure de Gorbatchev.

De plus Moscou obtient alors de l’Allemagne un certain nombre d’engagements très importants pour l’URSS sur les frontières, les armes nucléaires, l’aide économique, etc. Dans ce contexte, l’élargissement de l’OTAN n’apparaît pas alors comme une préoccupation majeure.

Signe des bonnes relations qui prévalent à cette époque : Moscou envisage alors d’intégrer l’OTAN. En décembre 1991, dans une lettre adressée aux Etats membres de l’Alliance atlantique, Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie qui met officiellement fin à l’URSS le 25 décembre 1991, pose « la question de l’adhésion de l’URSS à l’OTAN en tant qu’objectif politique à long terme ». On retrouve cette idée dans la bouche d’Andreï Kozyrev, le ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine. (...)

En 1999, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie adhèrent à l’OTAN. Que s’est-il passé durant cette décennie 1990 pour finalement engager l’élargissement de l’Alliance atlantique ?

Les premières années de la décennie sont marquées par une très grande coopération entre Occidentaux et Russes. Dans une Europe désormais réunifiée, l’Alliance Atlantique développe très rapidement des coopérations avec les pays de l’est, y compris avec ceux issus de l’ex-URSS. En décembre 1991, le Conseil de coopération nord-Atlantique est créé, les nouveaux Etats indépendants y adhèrent en 1992.

Deux ans plus tard, le rapprochement se confirme avec la création du programme de Partenariat pour la paix : l’OTAN offre au pays partenaire d’être associé à plusieurs de ses activités selon un programme et à un rythme négociés individuellement entre l’Alliance et le pays partenaire. Le succès est immédiat. La Russie y adhère elle aussi en 1994.

Mais petit à petit, entre la Russie et ses partenaires occidentaux, la méfiance revient et les relations se détériorent, elles deviennent d’autant plus difficiles que les espoirs occidentaux de voir la Russie se démocratiser sont douchés par les désordres et la corruption qui se développent en Russie et par la guerre en Tchétchénie.

Parallèlement, il est difficile pour les Occidentaux de refuser aux Tchèques, Polonais et Hongrois, de rejoindre l’OTAN, au vu de leurs souffrances durant la Guerre Froide. Aussi le principe de leur future adhésion est-il acté dès 1997. (...)

Où se situe alors la position de l’Ukraine dans ce vaste élargissement de l’OTAN à l’Est ?

Dès les années 1990, les relations entre l’Ukraine et la Russie sont très difficiles. Au sein de l’espace postsoviétique, l’Ukraine reste à l’écart des initiatives prises par la Russie. D’emblée elle prend ses distances avec celle-ci et affirme un désir de « retour à l’Europe ». Elle est le premier Etat de la Communauté des Etats indépendants à adhérer au Partenariat pour la paix et elle est par la suite un Partenaire très actif.

En mai 1995, le président ukrainien Koutchma soutient l’idée de l’élargissement à l’est de l’Alliance atlantique, celle-ci étant, déclare-t-il, « un facteur de stabilité et de sécurité en Europe ». Par la suite Kiev conforte progressivement ses liens avec l’OTAN. En 2002, le président Koutchma annonce que son pays souhaiterait en devenir un jour membre.

La situation se cristallise lors du sommet de l’OTAN de Bucarest, en avril 2008. L’Alliance n’accorde pas à l’Ukraine et à la Géorgie le plan d’action pour l’adhésion (MAP), préalable à l’adhésion, - les Français et les Allemands s’y sont opposés -, mais elle reconnaît leurs aspirations euro-atlantiques : le communiqué final ne mentionne aucune date, mais déclare que « ces pays seront membres de l’OTAN ». (...)

Quelle a été l’évolution de l’opinion ukrainienne vis-à-vis de la question de l’adhésion de leur pays à l’OTAN ?

Au moment du sommet de Bucarest en 2008, les enquêtes d’opinion le montrent, les Ukrainiens ne sont majoritairement pas favorables à l’adhésion de leur pays à l’OTAN. Progressivement, et surtout depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et la guerre dans le Donbass, les Ukrainiens se rangent massivement à l’idée de la nécessité d’obtenir la protection de l’Alliance atlantique.

Depuis des années, Vladimir Poutine met en avant la sécurité de la Russie, mais son objectif premier est-il de se prémunir contre l’OTAN (qui en réalité ne menace pas la Russie) ou de retrouver le contrôle de l’Ukraine ? L’échec de la politique russe vis-à-vis de l’Ukraine est retentissant. On peut comprendre que, vu de Moscou, « perdre » l’Ukraine serait terrible, ce serait entre autres un signe manifeste de l’érosion de sa puissance. Mais plus la Russie menace l’Ukraine et plus elle la convainc de la nécessité de s’ancrer à la communauté euro-atlantique.

Lire aussi :

Der Spiegel : Un document trouvé de 1991 confirme la légitimité des accusations de la Russie contre l’OTAN

Un document a été trouvé dans une archive britannique qui confirme que les pays occidentaux avaient promis à l’URSS lors des négociations de 1989-1991 de ne pas étendre l’OTAN à l’est, selon le magazine allemand Der Spiegel. Gorbatchev a abandonné la RDA et les autres « pays du socialisme » sans résistance. En échange, les Américains et les Européens prévoyaient de faire de l’OTAN une structure pacifique.

« La Russie soutient depuis des décennies que l’expansion de l’OTAN vers l’Est est une violation des promesses occidentales faites immédiatement après la chute du mur de Berlin. Et maintenant un document remarquable émerge. (...)

Jusqu’à il y a quelques semaines, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, se comportait avec beaucoup d’assurance. Le Norvégien a répondu avec confiance à la question de « Der Spiegel » si l’OTAN avait promis dans les années 90 de ne pas s’étendre à l’est. Stoltenberg a répondu avec confiance : « Ce n’est tout simplement pas vrai. Une telle promesse n’a jamais été faite, il n’y a jamais eu un tel accord en coulisses. C’est tout simplement faux. » (...)

De la même manière que Stoltenberg, de nombreux politiciens, militaires et journalistes occidentaux voient la situation. C’est une position commune : l’admission en 1999 de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque, puis d’autres pays d’Europe de l’Est à l’OTAN n’aurait pas contredit les accords avec Moscou après la chute du mur de Berlin en 1989. Cette position générale est compréhensible. Le président russe Poutine, en toute occasion, répète que l’Occident a trompé son pays avec l’élargissement de l’OTAN. Et puisque Poutine prétend cela, alors qui en Occident veut être accusé d’être un assistant de la propagande de Poutine ?

Et pourtant : la version de Stoltenberg soulève des questions. Ceci est confirmé par un document des Archives nationales britanniques. Ce document a été mis au jour par le politologue américain Joshua Shifrinzon, et initialement ce document a été classifié. Le document fait référence à la réunion des secrétaires d’État du ministère américain des Affaires étrangères, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne à Bonn le 6 mars 1991.

Le thème de la réunion était la sécurité de la Pologne et d’autres pays d’Europe de l’Est. La RDA et la RFA se sont unies cinq mois avant la rencontre. Depuis des mois, les politiciens de Varsovie et de Budapest signalent leur intérêt pour les alliances occidentales d’États. Et le document prouve qu’à ce moment-là, les Britanniques, les Américains, les Allemands et les Français étaient unis : l’adhésion à l’OTAN des pays d’Europe de l’Est était « inacceptable ».

La remarque suivante du représentant de l’Allemagne Jurgen Hrobog dans ce document est particulièrement intéressante : « Lors des négociations sur la formule 2 + 4, nous avons été clairs : l’OTAN ne sera pas étendue de l’autre côté de l’Elbe. Par conséquent, nous ne pouvons pas proposer à la Pologne et à d’autres pays d’Europe de l’Est l’adhésion à l’OTAN. Rappelons que les négociations 2 + 4 étaient des négociations entre la RFA et la RDA avec des représentants des quatre puissances qui ont gagné la Seconde Guerre mondiale (Grande-Bretagne, URSS, USA, France).

En 1993, bien avant l’émergence du régime de Poutine, les Russes ont souligné que les plans d’élargissement de l’OTAN qui ont été soudainement publiés à l’époque contredisaient l’esprit des négociations 2+4 et le document qui en résultait. A en juger par le document, les Russes dans leurs objections se sont référés aux assurances officielles de 1991 des dirigeants de la République fédérale d’Allemagne – le chancelier Helmut Kohl (CDU) et Hans-Dietrich Genscher (FDP). (...)

Cependant, depuis la chute du mur de Berlin, l’Occident n’a pas signé d’accord juridiquement contraignant avec le Kremlin qui exclurait l’élargissement de l’OTAN. Il semble cependant que tous les participants à ces négociations ont agi de bonne foi.

Après les promesses de Gorbatchev de rendre l’URSS démocratique, l’empire à l’est semblait prêt pour des réformes, Gorbatchev a même promis d’envisager l’option d’inclure l’URSS dans l’OTAN. En réponse, Kohl, Genscher et d’autres politiciens occidentaux voulaient vraiment réformer l’OTAN, transformer le bloc militaire en bloc politique et considérer sérieusement les intérêts du Kremlin. On a supposé que les choses n’iraient certainement pas en conflit avec l’expansion de l’OTAN vers l’Est.

Accord historique entre l’Otan et la Russie 15 mai 1997

La Russie a pu sauver la face avant l’élargissement inéluctable de l’Alliance atlantique. Le ministre russe des Affaires étrangères, Evgueni Primakov, et le secrétaire général de l’Otan, Javier Solana, sont arrivés hier à Moscou à un accord sur le texte régissant les futures relations entre la Russie et l’Otan. Cet accord ne comporte aucune concession spectaculaire de l’Otan sur les deux dernières pierres d’achoppement en matière militaire. Mais il renforce les mécanismes de concertation et de consultation entre l’Alliance et la Russie et tourne la dernière page de la guerre froide. Car l’accord s’accompagnera d’une nouvelle réduction des forces conventionnelles en Europe via la révision du traité CFE de 1990 qui sera négocié à Vienne entre les 30 Etats signataires. Moscou demandait que l’Otan s’engage à ne jamais déployer d’armes nucléaires, y compris des sites de stockage, sur le territoire des nouveaux membres (3 pays d’Europe centrale devraient intégrer l’Otan en juillet). L’Alliance atlantique s’est contentée de déclarer qu’elle n’en avait ni l’intention ni le besoin. Moscou voulait aussi un engagement de l’Alliance à ne pas déployer plus d’un bataillon supplémentaire (1.000 hommes) dans chacun des nouveaux pays membres. L’Otan ne voulait pas se lier les mains en matière d’infrastructures et de troupes afin d’éviter que les impétrants ne soient des membres de seconde zone, mais a calmé les inquiétudes russes en proposant une nouvelle réduction des forces conventionnelles, notamment un abaissement des plafonds d’armement dans certains pays d’Europe centrale.

Il aura fallu six séances de négociations étalées sur quatre mois pour parvenir à cet accord. Il devrait être signé en grande pompe le 27 mai à Paris par les représentants de l’Otan _ dont Bill Clinton _ réunis autour de Jacques Chirac et par le président Eltsine, qui a su tenir bon face aux nationalistes de son opinion publique. D’ici là, le texte, d’une vingtaine de pages, devra être approuvé par les gouvernements des 16 pays de l’Alliance et de la Russie, sans être ratifié par les Parlements nationaux, ce qui ne lui donne pas la valeur juridique d’un traité. La Haye, Madrid, Washington, Varsovie et Bonn se sont aussitôt félicités de l’accord, Paris soulignant qu’il s’agissait d’un événement historique rendu possible « grâce à l’action conjointe de la France et de l’Allemagne ».

La voie ouverte à l’élargissement
La voie sera alors ouverte à l’élargissement de l’Otan aux pays de l’Est, membres du pacte de Varsovie jusqu’à sa dissolution en 1990. Lors du sommet de Madrid, le 8 juillet, la République tchèque, la Pologne et la Hongrie devraient donc rejoindre l’Alliance sans que la Russie puisse exercer de droit de veto alors que la Roumanie _ qui bénéficie de l’appui de la France _ et la Slovénie risquent de devoir patienter. Les 3 Etats baltes, la Slovaquie, la Bulgarie, l’Albanie et la Macédoine sont aussi candidats, mais leur dossier ne sera pas examiné de sitôt, la Russie s’y refusant et les Etats-Unis étant circonspects sur la stabilité politique des pays candidats.

Washington pourra être satisfait d’avoir repoussé les frontières de l’Alliance de 1.000 kilomètres vers l’Est, et Moscou de ne pas assister à l’émergence d’un nouveau rideau de fer en Europe. Reste la question posée à l’Otan depuis la fin de la guerre froide : à quoi sert-elle puisque sa raison d’être était de constituer une alliance face à une attaque soviétique potentielle ? L’Otan, dont la rénovation est délicate _ en attestent les dures négociations entre Paris et Washington pour le retour de la France dans le commandement intégré _ disposera de quelques années pour se doter de nouvelles missions, où une Russie en voie de stabilisation aurait sa place. A titre expérimental, des contingents russes ont déjà travaillé en Bosnie dans le cadre d’une opération de maintien de la paix menée par l’Otan.