
Derrière les murs des prisons égyptiennes, l’humanité des personnes LGBT est bafouée. Elles sont victimes d’humiliations permanentes, de torture et de viol.
(...) Pour dire l’horreur des conditions de détention des personnes LGBTQ en Égypte, l’avocat Ahmed Hossam, spécialisé dans la défense de ces cas, est catégorique : « Trois mots seulement : humiliation, cruauté, torture. » Les arrestations à la suite du concert du groupe de rock libanais Mashrou’ Leila au Caire le 22 septembre constituent le dernier épisode d’une série de vagues de répression, peut-être celle de la plus grande ampleur. Selon Ahmed Hossam, au moins 200 personnes auraient été arrêtées, « mais cela pourrait être 500 ou 1000, c’est impossible de connaître le nombre exact. Un jour où je me rendais au palais, il devait y avoir en tout trois prévenus. Une fois là-bas, j’en ai trouvé neuf. Et c’était seulement dans un tribunal. »
Mohamed a été incarcéré pendant plus de deux ans. Son crime : avoir été victime de viol, menacé à l’arme blanche par un ex-amant. Une fois au commissariat, c’est une tout autre affaire qui intéresse les enquêteurs, ils s’acharnent sur lui pour qu’il avoue son homosexualité. (...)
Il reste enfermé au commissariat pendant deux mois, avant d’être transféré en prison. Son enfermement illustre le long parcours de solitude auquel font face les homosexuels et les transsexuels dans les geôles égyptiennes, pris en étau entre la haine de leurs codétenus et celle des agents de sécurité. Il affronte la terrible complicité qui naît de ces haines conjuguées. (...)
En plus d’inciter ses codétenus à des actes de violence, Mohamed atteste que des policiers l’ont violé à plusieurs reprises. Des actes barbares auxquels s’ajoute une série d’abus qui revêtent presque toujours un caractère sexuel. (...)
« La violence sexuelle est employée contre les prisonniers, explique Dalia Abdel Hamid, activiste au sein de l’ONG égyptienne EIPR. Elle peut viser des prisonniers politiques ou n’importe quel prisonnier. Mais bien sûr, lorsque des personnes sont identifiées comme homosexuelles en prison, le risque de subir de telles violations augmente. » (...)
Dans un rapport intitulé « Nous ne sommes pas raisonnables ici : Torture et sécurité nationale dans l’Égypte d’al-Sissi » publié en septembre, l’ONG Human Rights Watch dénonce un usage « systématique et étendu » de la torture, qui pourrait constituer selon elle un crime contre l’humanité. Si ces méthodes concernent en premier lieu les prisonniers politiques, « le président al-Sissi a donné aux policiers et aux agents de la sécurité nationale un blanc-seing pour se livrer à la torture quand bon leur semble », déclarait alors Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. (...)
« Dans les rangs de la police, ils détestent profondément quiconque est différent, en particulier la minorité LGBTQ qui représente une menace pour leur virilité. »
Ahmed Hossam, avocat (...)
En prison, le tabou de l’homosexualité éclate. Et soudain à découvert, les gays et les transsexuels sont traités en sous-hommes. (...)
« Pour les policiers, pour la loi et pour la religion de ce pays, nous représentons quelque chose qu’ils refusent, développe Mahmoud. Ils nous traitent comme des criminels qui essaieraient de détruire la société. Ils me disaient tout le temps : “Tu ne mérites pas d’être en Égypte et de faire partie de la communauté musulmane.” »
« Nous sommes comme un virus dont il faudrait venir à bout », soutient Mohamed. (...)
Des arrestations en cascade, rendues possible par l’usage des applications de rencontres, jusqu’aux dossiers montés de toutes pièces et aux procès expéditifs, l’engrenage qui mène à la cellule est implacable. Depuis qu’il a entrepris de l’enrayer, Ahmed Hossam est raillé par certains de ses pairs comme « l’avocat des pédés », défenseur de cas trop souvent perdus d’avance : « Certains juges me disent parfois : “Pourquoi tu les défends, ils iront en enfer dans tous les cas.” » (...)
Puisqu’aucune loi ne pénalise l’homosexualité en Égypte, les juges ont dans la grande majorité des cas recours à deux chefs d’accusation, « débauche » et « prostitution ». Mais un projet de loi déposé au Parlement en novembre incrimine directement l’homosexualité et prévoit des peines alourdies allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. « C’est seulement de la propagande », estime Ahmed Hossam, avant d’ajouter : « Mais si cette loi est votée, ce sera un désastre. »
« Il y a toujours un besoin d’attirer l’attention sur la moralité des citoyens, sur leur respect de la religion, analyse Dalia Abdel Hamid. C’est en grande partie instrumentalisé, quelqu’en soit la raison. » (...)
Le docteur Magda Adly, cofondatrice du centre Al Nadeem pour la réhabilitation des victimes de violences et de torture, a suivi certaines des personnes interpelées lors de cette rafle à leur sortie de prison. « N’importe quel hôpital ou clinique ne portera pas forcément d’attention particulière à la manière de traiter les victimes de torture, explique Magda Adly. C’est une question extrêmement sensible et de nombreuses personnes pourraient également avoir peur d’aller à l’hôpital. » Seule structure à apporter un soutien psychologique et psychiatrique spécialisé, le centre a été fermé par les autorités égyptiennes en février. Depuis leur remise en liberté, aucun des témoins cités dans cet article n’a consulté de médecin pour tenter de surmonter le traumatisme, l’un d’eux ne peut désormais plus dormir sans somnifères. (...)
« Toute ma famille sait et ne veut plus entendre parler de moi. Je n’ai plus d’amis non plus. Maintenant je suis à la maison mais je suis toujours seul. Personne ne peut trouver du travail après la prison, mais pour moi c’est pire, je suis gay donc personne ne voudra de moi. Ma seule chance c’est de partir dans n’importe quel pays et de prendre un nouveau départ. Ici, je meurs à petit feu. »
Le jeune homme doit encore effectuer la seconde moitié de sa peine, trois ans en détention de jour dans un commissariat qu’il espère faire annuler. Mahmoud est lui en attente d’un procès en appel au cours duquel il risque un an d’emprisonnement. « Si je suis condamné pour un an, je ne resterai pas en Égypte, affirme-t-il. J’irai voir des passeurs ou j’utiliserai n’importe quel moyen illégal pour quitter l’Égypte et m’enfuir. » Son audience doit se tenir cette semaine.