
Dans les entreprises privées, les entretiens d’évaluation constituent un instrument de "pilotage" de la gestion des carrières et des rémunérations des salariés. Au moment où le gouvernement veut étendre ce système au personnel enseignant, il est utile de jeter un regard sur l’utilisation de cet "outil", dans le privé.
Le 22 septembre 2001, la cour d’appel de Toulouse a suspendu le système d’évaluation des cadres d’Airbus, car celui-ci intégrait "des critères comportements non conformes aux exigences légales" entraînant "une évaluation subjective" des salariés (1). Les cadres étaient évalués sur leur courage ou sur la défense des valeurs de l’entreprise. De ces critères dépendait de 10% à 20% de leur rémunération. La cour d’appel avait été saisie par la seule CGT (syndicat très minoritaire chez Airbus, chez les cadres comme chez les non cadres) ; la CGT demandait l’interdiction du dispositif, ce qu’elle n’a pas obtenu. Xavier Petrachi, délégué syndical CGT, conclut : "Ce n’est pas le fait d’évaluer en lui-même que la justice a finalement jugé illégal, mais le fait d’inclure des critères subjectifs, en particuliers destinés à briser le collectif" (1).
Airbus est loin d’être la seule entreprise à utiliser l’"entretien individuel d’évaluation" (EIE) comme outil de gestion des ressources humaines : selon un rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS) (2), plus de trois quarts des entreprises du secteur privé y ont recourt. En 2006, 76% des cadres, 57% des employés et de 25 à 35% des ouvriers avaient eu au moins un EIE par an. Depuis quelques années, les agents de la Fonction publique sont également évalués via un entretien annuel avec leur supérieur hiérarchique. Le projet de décret du gouvernement prévoit d’étendre ces entretiens aux enseignants, CPE et Co-Psy.
Les cas de suicides, de souffrance au travail, à France Télécom, à La Poste, sont directement liés à cette nouvelle forme de management par objectifs. L’EIE vise à "évaluer la performance du salarié en fonction d’objectifs fixé par la hiérarchie" (2), et sert d’appui pour l’évolution des salaires. Ainsi, la gestion des salaires est individualisée ; c’est aussi un cadre idéal pour le développement des primes "au mérite", ou de la "réduction d’ancienneté" pour les fonctionnaires accroissant la concurrence entre les salariés. (...)
Atteindre un niveau de qualification ne suffit plus ; il faut que le salarié fasse preuve de son employabilité, de ses compétences, dont il est responsable individuellement. C’est au salarié de s’adapter, de développer les compétences nécessaires pour l’évolution des besoins du marché, toujours plus compétitif. C’est une logique complètement opposées à celle des qualifications reconnues par des accords collectifs appuyés sur des diplômes nationaux : les conventions et statuts nationaux limitent la concurrence entre les salariés. (...)
Cette nouvelle organisation du travail nécessite une profonde modification des finalités de l’éducation. Il ne s’agit plus d’élever une génération à un certain niveau de connaissances validées par des diplômes eux-mêmes garant d’une qualification reconnue par les convention collectives, mais de préparer le salarié à une "formation tout au long de sa vie" en lui fournissant des compétences de bases qu’il devra savoir utiliser et faire évoluer pour entretenir sa propre employabilité. (...)
Sous leurs différents aspects, les diverses réformes engagées par le gouvernement dans l’éducation forment bien un tout cohérent, visant à former une main-d’œuvre privée de force collective, responsable de sa propre employabilité. (...)