Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
les mots
L’homophobie vient-elle (vraiment, et seulement) d’en bas ?
Sylvie Tissot Gayfriendly. Contrôle et acceptation de l’homosexualité à Paris et à New York, paru en 2018 aux éditions Raisons d’agir.
Article mis en ligne le 15 mai 2019
dernière modification le 13 mai 2019

Il existe aujourd’hui une condamnation officielle de l’homophobie, et une politique de reconnaissance de l’homosexualité – à travers notamment la légalisation du mariage des couples de même sexe. Cette gayfriendliness institutionnelle résulte en bonne partie de la pression des mouvements sociaux, mais elle a aussi été entérinée et organisée à des fins de diversion – et de stigmatisation parfois explicite des « autres », présentés comme homophobes : les classes populaires, les minorités racisées et le « monde musulman ».

C’est ce qu’ont montré plusieurs travaux consacrés à l’« homonationalisme » – terme forgé pour critiquer ces opérations politiques menées au nom du progressisme. Plusieurs réponses ont déjà été apportées pour les contrer, certaines allant malheureusement jusqu’à disqualifier toute lutte contre l’homophobie et toute demande d’égalité des droits (et notamment des droits d’accès au mariage et à l’adoption) au nom du supposé impérialisme, du supposé racisme ou du supposé mépris de classe dont elles seraient nécessairement, comme par essence, entachées. C’est un angle d’analyse très différent que nous proposons ici. Dans son livre Gayfriendly. Acceptation et contrôle de l’homosexualité à Paris et à New York qu’elle présentera le 21 mai à 19h30 à Bonjour Madame [1], Sylvie Tissot propose un détour par la gayfriendliness revendiquée par des hétérosexuels fortunés et cultivés, pour en dégager les caractéristiques bien particulières, ainsi que les importantes limites. (...)

Partie 1. L’homophobie comme faute de goût.

Construite dans les années 1980 et 1990 en grille d’analyse de la question sociale en France, la « banlieue » a aujourd’hui pour fonction de désigner une série très extensive de « problèmes ». L’évacuation de la question des discriminations a accompagné cette construction politique, en reléguant dans l’invisibilité le racisme qui pèse pourtant fortement sur le quotidien d’une partie importante de la population qui y vit. Dans le même temps, dès le début des années 1990, le ciblage des « quartiers sensibles » repose sur une identification ethnique : le pourcentage de populations immigrées a été érigé en indicateur permettant d’identifier et de mesurer ce caractère « sensible ».

De sorte que la référence aux populations habitant en « banlieue » ou dans les « quartiers » permet aujourd’hui de désigner des populations racisées sans utiliser le langage racial : soit que le propos est tenu dans des univers où il est prohibé en théorie, soit que l’idéologie républicaine, et parfois certains sentiments antiracistes, contraignent les locuteurs à des catégories dites « color blind », ou aveugles à la race.

Les discussions sur la gayfriendliness donnent à voir la manière dont le langage spatial sert en réalité à dire la race, et ce à des fins de mise à distance. Loin de l’opposition fantasmatique entre une France « républicaine » et des États-Unis foncièrement « racistes », le langage de la race est, dans sa forme particulière, présent dans les pratiques et les catégories de pensée des classes supérieures françaises. Comment se fait-il qu’il apparaisse à l’occasion de discussions sur l’homosexualité ?

Les propos des enquêtés parisiens font écho à des discours largement repris dans les médias, notamment sur la base d’ouvrages et de statistiques produites dans le milieu associatif. Des rapports de SOS Homophobie parus en 2005 et 2006 mobilisent des chiffres biaisés mais qui viennent conforter l’idée, diffusée dans des livres à succès, d’une homophobie plus forte et spécifique à la « banlieue ». Comme cela a été le cas quelques années plus tôt quand la question des violences contre les femmes a été circonscrite à certains territoires et certaines populations racisées, l’homophobie figure désormais dans la longue liste des « problèmes des quartiers ». (...)

Pointer du doigt cette construction politique et médiatique ne veut pas dire qu’aucune homophobie n’existe dans ces milieux : des enquêtes seraient nécessaires pour en dégager les formes spécifiques. Mon propos ici est de mettre en évidence le rôle que joue l’homosexualité dans des processus de stigmatisation (tout particulièrement des Arabes), qui s’inscrivent dans une histoire ancienne.