
Présidente d’Amnesty International France depuis janvier 2018, Cécile Coudriou vient d’être réélue pour la seconde fois à la tête de notre organisation. Militante de terrain « avant tout », bénévole à plein temps - 40 heures par semaine en moyenne, qu’elle peut effectuer grâce au soutien indéfectible de son épouse - en plus de son métier-passion d’enseignante en Information et Communication à l’université, elle se bat au quotidien pour faire entendre la voix des droits humains, dans les débats et les médias. Entretien.
Qu’est-ce qui a motivé votre engagement en faveur des droits humains ?
Dans ces deux mots, « droits » et « humains », il y a une combinaison qui fait écho à ce en quoi je crois profondément. L’humain appelle une forme d’empathie, c’est le fait de se sentir concerné lorsque d’autres personnes subissent des violations où que ce soit dans le monde. Puis, à cette émotion-là, s’ajoute le droit, avec ses raisonnements concrets et ses arguments rationnels, et surtout un effet de levier que ne pourrait pas avoir l’émotion seule. C’est le fait de savoir que face à n’importe quelle situation, on peut s’appuyer sur le droit pour faire une différence. La référence constante au droit international a été déterminante dans mon engagement.
C’est un sujet qui parait parfois complexe ou élitiste... comment faire pour que ce combat touche tout le monde ?
Les gens ont souvent une vision abstraite des droits humains, il faut donc donner des exemples précis pour que cela devienne concret dans leur esprit : le droit de pouvoir s’exprimer librement, de manifester ou de vivre dans un environnement sain, d’avoir un toit, d’avoir accès à une éducation et à la culture… On ne convaincra pas les gens avec un jargon de droit international, mais si on leur dit : « Suite à une manifestation en Russie, des centaines de personnes ont été emprisonnées », « des enfants travaillent dans des mines de cobalt en République démocratique du Congo pour que nous puissions fabriquer nos téléphones portables », tout de suite, ça devient plus concret pour eux. C’est donc au travers d’exemples de ce type qu’on peut faire comprendre à quel point le droit est lié à tous les aspects de notre vie – soit parce que nos droits sont bafoués, soit au contraire parce qu’on en bénéficie. Quand on dit « j’ai été humilié parce que je suis pauvre », « j’ai été rejeté parce que je suis musulman », ou « on m’a craché à la figure parce que je suis lesbienne » : on sent bien qu’il s’agit de refuser d’être nié dans sa dignité humaine. Et le droit est le meilleur levier pour se défendre. (...)
Il faut par ailleurs continuer à soutenir les mouvements qui n’ont pas le pouvoir qu’Amnesty International peut avoir. Nous devons tisser des liens avec les autres associations pour les aider à faire contrepoids face à cette tendance autoritaire qui se confirme un peu partout dans le monde. Notre rôle est de soutenir cette société civile qui se bat et prend parfois des risques énormes ; et de demander aux État qui se disent démocratiques de faire plus, beaucoup plus, pour défendre et protéger les défenseurs des droits humains partout sur la planète. (...)
Quand nos détracteurs parlent des « droits de l’hommisme », expression que j’exècre, c’est une manière de nous déposséder du sens même de notre combat pour les droits humains. Ils cherchent à nous discréditer en nous plaçant dans un camp à part, déconnecté de la réalité de la société alors que notre mission est d’oeuvrer concrètement dans l’intérêt d’absolument tout le monde. Ils s’attaquent à ce qui fait la beauté même de notre combat fondé sur l’universalité des droits, universalité à laquelle je suis profondément attachée.
Peu de gens arrivent à comprendre qu’on peut unir l’universalisme avec l’acceptation des différences. Pourtant l’universalisme peut tout à fait se combiner avec la tolérance, l’acceptation et l’ouverture, voire l’encouragement à une diversité. On peut avoir une identité et être ouvert à la diversité. C’est ce que prône l’UNESCO avec la culture. Pour moi, c’est la même chose avec les droits humains.
Quant à ceux qui disent qu’il s’agit d’une idéologie portée par l’Occident, je leur réponds que la Déclaration universelle des droits de l’homme a été écrite avec la contribution d’un libanais, d’un chinois… Et par ailleurs, tous les mouvements qui ont émergé à travers la planète démontrent une aspiration universelle à la liberté et la dignité : les Printemps arabes, les soulèvements au Soudan, à Hong Kong, en Biélorussie… Ils sont la preuve vivante et criante de ce que l’on cherche à défendre et à promouvoir : l’universalité des droits humains, ce qui nous unit au-delà de nos différences. (...)