
Détenus brisés ou révoltés contre le système, surveillants respectés ou mis en danger… Au terme de sa mission, Jean-Marie Delarue, premier contrôleur général des lieux de privation de liberté, livre le récit de moments qui l’ont marqué. Un témoignage édifiant.
(...) LA PREMIÈRE VISITE
« On m’avait dit "c’est une maison d’arrêt formidable : le matin, les surveillants arrivent en sifflotant." Un cas en effet peu commun : habituellement, ils arrivent plutôt à leur poste la boule au ventre. Je m’attendais donc, en arrivant à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône), à découvrir un paradis pénitentiaire. Nous sommes tombés sur quelque chose de très rude. Et si les surveillants arrivaient en sifflotant le matin, c’est qu’ils avaient opté pour une manière de gérer la détention très rigide, « à l’ancienne » : s’appuyer sur quelques détenus pour assurer la paix, faire régner une discipline de fer.
Lors de ma visite, un des contrôleurs qui m’accompagnait m’a dit : « Il faut que vous voyiez quelqu’un. » Arrive devant moi un prisonnier si maigre qu’il m’évoque un homme sorti d’un camp de concentration, des cheveux teints en jaune, des brûlures de cigarettes aux poignets. Il était la victime de ses codétenus, car il était homosexuel, mais il n’avait pas été placé à l’isolement. Une discipline de fer n’empêche pas de graves tensions au sein de la détention. Cette politique à courte vue de certains surveillants amène la résignation, la diminution de soi, comme dans le cas de cet homme. Ou, au contraire, l’explosion de violences de ceux qui résistent. Il y a certes la satisfaction que rien ne bouge, mais là-dessous ça bouillonne ou ça détruit. » (...)