
On sait désormais que la langue que nous parlons agit sur nos pensées au point d’avoir un impact sur nos représentations, nos réactions et même nos capacités cognitives. Autrement dit, nos visions du monde sont influencées par la langue que nous utilisons.
Peut-être avez-vous déjà entendu parler de la fameuse « hypothèse de Sapir-Whorf ». Devant son nom aux deux anthropologues qui l’ont formulée dans les années 1960, elle affirme justement que notre vision du monde dépend de la langue ou des langues employées au quotidien. Mais cette idée, également connue sous le nom de « relativité linguistique », n’est pas contemporaine. « Elle traîne depuis des siècles, voire des millénaires. Sapir et Whorf l’ont seulement réactualisée », affirme Agnès Steuckardt, professeure de sciences du langage à l’université Paul Valéry de Montpellier.
La linguiste explique que dès le XVIIIe siècle, le philosophe allemand Wilhelm von Humboldt affirmait que notre représentation du monde dépendait du langage, une idée qui revient aussi aujourd’hui avec le concept de « langue culture ». Le constat est donc plutôt consensuel. La véritable question est plutôt de savoir : jusqu’à quel point ?
Le rapport à l’espace et au temps (...)
l’interprétation d’un même événement dépend également de la langue. Chaque système grammatical accorde une place différente au sujet d’une action. Ainsi, certaines langues auront tendance à utiliser des formes grammaticales qui mettent en avant le sujet (voix active), comme par exemple l’anglais. D’autres, comme l’espagnol, préféreront la voix passive. (...)
Les langues qui utilisent la voix passive sont majoritaires dans le monde, donc, pour de nombreuses personnes, une construction telle que « I broke my arm », qui signifie littéralement en français « J’ai cassé mon bras », est insensée, puisqu’elle suppose que l’action est intentionnelle. (...)
Ces différences grammaticales ont des conséquences en matière de droit. En comparant 200.000 comptes-rendus de procès du tribunal pénal de Londres, les chercheurs ont observé que lorsque le procès-verbal contient une forme active, du type « Julia a cassé le vase », l’accusé est plus fréquemment déclaré coupable que s’il contient une forme passive.
Cognition et connotation
Un autre exemple montrant l’impact de la langue sur les capacités cognitives, que Lera Boroditsky qualifie « d’effets précoces », est celui de la description des couleurs. En russe, il existe deux mots différents pour les nuances de bleu, tandis qu’il n’y en a qu’un seul en anglais. (...)
La langue parlée construit également des connotations différentes. Par exemple, dans de nombreuses langues latines ou encore en russe, les noms communs sont genrés. Ainsi, ils sont associés à des représentations selon que leur genre est féminin ou masculin (souvent au détriment des noms associés au premier).
Les études sur la relativité linguistique montrent qu’il existe autant d’univers cognitifs que de langues. (...)
En vérité, on ne peut pas affirmer que les idées préexistent au langage, ou que le langage préexiste à la pensée ; il s’agit plutôt d’une interaction constante entre les deux. (...)
il existe autant d’univers cognitifs que de langues, soit environ 7.000. Mais cette diversité va en diminuant, puisque certains experts estiment que la moitié d’entre elles auront malheureusement disparu dans un siècle.