
A l’heure du tout sécuritaire et des "centres fermés", alors que la population carcérale atteint en France un niveau sans précédent (elle est passée de 47000 en février 2001 à près de 68000 en mai 2013), le livre de Nils Christie constitue un antidote plus qu’utile, qui permet de poser mieux les problèmes liés à "la délinquance" et à la "criminalité", et de mesurer la gravité de ce qu’on nomme couramment une "dérive sécuritaire", et qui est peut-être un changement de civilisation.
Christie est un criminologue norvégien, mais son livre prend pour objet l’ensemble des pays dits occidentaux, dans une perspective comparatiste. Son livre constitue, de ce point de vue, un utile complément aux analyses de Loïc Wacquant sur le lien entre le désengagement de l’État social et le sur-développement de l’État pénal (1). Des analyses qu’il confirme largement.
Le point de départ de Christie est ce postulat sociologique : la réalité sociale n’est pas un donné brut, mais une construction. Traduction : la délinquance et le crime ne sont pas des données objectives invariantes ; leur définition varie considérablement, suivant les lieux et les époques, en fonction de ce qu’une société choisit de criminaliser ou de ne pas criminaliser. Le chiffre de la population carcérale nous en apprend donc davantage sur la politique pénale d’un État que sur la réalité sociale du pays : la population carcérale était par exemple quatre fois plus élevée dans la Russie soviétique de 1950 que dans la Russie de 1989. Et aujourd’hui, le taux d’incarcération est plus de cinq fois plus élevé aux États Unis que dans le pays voisin, le Canada.
Cela dit, tout autant que ces écarts, ce sont les ressemblances qui donnent à réfléchir. Christie souligne en effet qu’un mouvement général a été amorcé, à partir de la fin des années 1970, dans le sens d’un durcissement et d’un renforcement du traitement pénal des problèmes sociaux, au détriment du traitement social. (...)