
"Non, vraiment, c’est un objet magnifique, en parfait état de conservation, il est nickel. De la belle ouvrage, toujours parfaitement fonctionnel", poursuit-il. "Mais voilà, ça ne suffit pas. En ce moment, il n’y a plus de marché pour cela. Ça vaut le prix du métal, pas plus, mais ce serait vraiment dommage."
L’horloger repose la montre centenaire dans son écrin avec un air désolé. Il y a quelques années encore, les collectionneurs étaient à l’affût de ce genre d’objet, pas extrêmement rare certes, mais une manifestation concrète du génie industrieux humain, le témoignage du temps patiemment investi par un homme méticuleux, soigneux et maître de son art. Cet objet avait la valeur du travail humain, de sa beauté intrinsèque, du soin dont il avait été entouré pendant toutes ces années, de sa capacité à survivre à l’histoire et à l’entropie naturelle des choses. C’était ce genre de choses qui importait.
Plus maintenant.
Maintenant, ça ne vaut que pour sa matière première, son prix comme valeur refuge, investissement sonnant et trébuchant en des temps de vaches maigres. À peine le prix d’un smartphone débité à la chaîne dans une usine à sueur, quelque part, à l’autre bout du monde, dans un de ces pays où la vie humaine est encore moins chère. (...)