
Au Mali, les politiques imposées par le FMI et la Banque Mondiale ont détruit l’agriculture et l’éducation, poussant les jeunes vers le terrorisme. C’est la théorie d’Ibrahima Coulibaly, agriculteur, président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali et ambassadeur de la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’Agriculture) pour l’agriculture familiale. Entretien.
Reporterre - Chez vous, dans un pays à 90 % musulman comme le Mali, comment avez-vous vous reçu la nouvelle des attentats terroristes en France ?
Ibrahima Coulibaly - D’abord il faut préciser que la majeure partie de la population malienne est musulmane, mais on pratique un Islam très, très tolérant, présent chez nous depuis plusieurs siècles. C’est seulement très récemment qu’un autre type d’Islam, comme l’Islam wahhabite [courant fondamentaliste de l’Islam - NDLR], s’est développé. Il est financé principalement par les pays du Golfe. C’est un Islam un peu particulier qui présente une interprétation qui n’est pas celle de la majeure partie des gens au Mali.
Le Coran est clair : on ne peut pas obliger quelqu’un à aimer une religion. On respecte les religions des autres. Ici il y a eu une condamnation quasi unanime des attentats, pour nous la religion ne peut pas prôner la violence, c’est écrit dans le Coran que la vie est sacrée. Sur le fond je pense que tout le monde aime vivre, donc si des gens n’ont plus peur de la mort il faut se poser des questions.
Je pense que l’origine de ce problème est l’exclusion sociale ; comme en France, au Mali l’État n’a pas de réponse pour les jeunes. Les États doivent se questionner là dessus partout dans le monde : aux États-Unis, en Israël, en Europe, pas seulement nous. (...)
La base de la constitution d’une conscience humaine c’est l’éducation. Depuis quarante ans, la Banque mondiale a détruit l’éducation dans notre pays. Donc les jeunes n’apprennent pas à voter, à être citoyens. Dans le Sahel, il n’y a pas d’école ou seulement des écoles coraniques. Ils prennent les enfants, mais n’ont rien pour les nourrir ni les entretenir. Alors les enfants passent leurs journées à mendier pour ces écoles. Ils sont battus s’ils ne ramassent pas assez d’argent.
La société ne donne pas d’éducation à ces enfants, ce sont des bandits. (...)
Le monde rural en Afrique a été abandonné. La Banque mondiale et le FMI sont arrivés et ont décrété que les États africains n’avaient plus le droit de soutenir leur agriculture. Ils ont demandé l’ouverture des marchés, la libéralisation. Les agriculteurs se sont retrouvés dans une compétition féroce. En plus les intermédiaires sont apparus et ont pris une partie de leurs revenus. En vendant un sac de céréales, les paysans ne couvrent même plus leur coût de production.
Ajoutez à cela les aléas climatiques, les sécheresses, les inondations qui sont de plus en plus fréquentes à cause du réchauffement climatique...
Les familles sont pauvres, vulnérables, n’ont pas les revenus pour s’alimenter dignement et encore moins pour donner une éducation de qualité à leurs enfants parce qu’il faut payer, l’État ne prend plus en charge l’éducation de base.
Les enfants voient leurs parents pauvres, ne voient pas de solution à rester chez eux. Donc soit ils tentent d’émigrer en Europe. Soit ils rencontrent un marchand d’illusions qui leur dit que s’ils vont au combat, ils vont directement au paradis. Quelqu’un qui en a marre de cette vie ici peut avoir envie d’aller au paradis où tout est soit-disant mieux. (...)