
L’outil de modification génétique CRISPR/Cas9, dont la montée en puissance et les questions éthiques associées ont été abordées dans des brèves antérieures [1] [2], a permis récemment de concrétiser des approches nouvelles dont les implications épidémiologiques, sociétales et éthiques soulignent la nécessité d’une réflexion autour de cet outil.
Le développement récent de kits de transgenèse CRISPR/Cas9 disponibles pour les particuliers pour moins de 160 dollars illustre l’évolution de l’accessibilité à de tels outils [3].
(...) Des chercheurs californiens viennent de produire des moustiques modifiés génétiquement par CRISPR/Cas9 pour résister au parasite responsable du paludisme et capables, contrairement aux règles d’héritabilité classique, de transmettre cette modification à près de 98% de leur descendance grâce à un mécanisme de copier-coller génétique (gene drive). [5] [6]. Si ces moustiques modifiés étaient relâchés dans la nature, ce gène de résistance pourrait envahir la population de moustiques sauvages en une dizaine de génération (une saison chez ces espèces) et avoir une incidence majeure sur ce vecteur de contamination [7]. Le paludisme est causé par des parasites du genre Plasmodium transmis par des moustiques infectés. Environ 650 000 personnes en meurent chaque année (rapport OMS de 2013), principalement sur le continent africain.
Si la modification génétique de moustiques pour lutter contre le paludisme est une piste à l’étude depuis plusieurs années (certaines études utilisent déjà CRISPR/Cas9 pour cela), la mise au point d’un mécanisme de conversion (gene drive) pour propager ces modifications au sein de la population sauvage au fil des générations est une avancée majeure [8]. (...)
Si ces recherches suscitent beaucoup d’espoirs, les scientifiques attirent l’attention sur le caractère irréversible de l’introduction de ces animaux au sein de populations sauvages et sur les conséquences écologiques imprévisibles qui pourraient en résulter. Par ailleurs, la population de moustiques sauvages présente une variabilité génétique bien plus importante que les modèles de laboratoire et la preuve de concept de cette approche ne garantit pas son efficacité ou sa stabilité à court et moyen terme. Des évènements naturels incontrôlables comme des mutations génétiques pourraient conduire à une perte de fonction du système.
Notons qu’en théorie, il est possible d’utiliser un nouveau transgène dont le gene drive reconnaîtrait la modification génétique précédente, pour la corriger [11]. Cette possibilité d’édition successive offre une piste de retour en arrière ou de mise à jour du système, mais soulève des questions concernant l’accès à ces technologies. Le flou juridique à l’échelle nationale et internationale concernant la régulation d’organismes génétiquement modifiés comportant un gene drive, est également mis en avant par les scientifiques [12]. (...)