
« Bonne nouvelle, la couche d’ozone est en voie de guérison. » Et tout ça, grâce à quoi ? « Grâce à la bonne volonté humaine. » Les industriels ont donné la main aux citoyens, et youkaïdi youkaïda ! les multinationales se sont converties à l’écologie…
Réalité, ou légende ?
À quoi doit-on cette amélioration ? « Eh bien à la bonne volonté humaine, en fait ! Elle s’est traduite en 1987 par la signature du protocole de Montréal. Ça veut dire que quand on veut faire quelque chose, quand on agit, ça peut avoir des conséquences, à grande échelle. »
On s’est donné la main, youkaïdi youkaïda, et tout est allé mieux ! D’ailleurs, l’ONU décerne des Ozone Awards, en vrac, aux « experts réfléchis des gouvernements, des universités, des industriels et de la société civile », remercie un « groupe de champions mondiaux » qui « se sont engagés à promouvoir, à développer et à mettre en œuvre des technologies pour l’environnement avec le zèle d’un missionnaire », loue les multinationales qui se sont impliqués « dès les premières négociations », vante leurs lobbies qui ont épousé « les préoccupations mondiales croissantes de l’impact des HFC sur le changement climatique », etc.
Quel monde merveilleux, quand les industriels oublient ainsi leurs profits, et ne songent qu’à la sauvegarde de l’humanité ! (...)
La guerre de l’ozone
L’histoire, malheureusement, est plus sombre que cette légende.
En 1974, Sherwood Rowland et Mario Molina, deux chercheurs de l’université de Californie, publient dans la revue Nature une étude sur la couche d’ozone : « Il apparaît que la destruction par la chlorine de l’ozone pourrait être au moins comparable à la destruction naturelle de l’ozone. Et pourrait bien en devenir la principale cause. Cela pourrait, en résumé, prendre le pas sur la nature. » (...)
Ozone War : c’est le titre d’un livre rédigé par une journaliste américaine, Lydia Dotto. La Guerre de l’ozone, tant les sociétés chimiques mènent une bataille de la propagande, une lutte contre la vérité.
Régulation à grande vitesse
Cette guerre, elles la perdent.
Malgré leurs armes de mensonges massifs, les entreprises vont de défaites en défaites.
D’abord, un consensus scientifique apparaît : dès 1974, le National Center for Atmospheric Research confirme la thèse de Rowland et Molina, tandis qu’Harvard prévoit un million de cancers de la peau par an. En 1975, la World Meteorological Organization prédit une hausse de 40 % des radiations des UV. En 1979, c’est la U.S. National Academy of Sciences qui diagnostique une destruction de la couche d’ozone à hauteur de 16,5%. Et derrière, le gouvernement paraît déterminé à agir. En 1977, soit trois années seulement après le premier rapport, la puissante Food and Drug Administration tranche : « Les polluants au fluorocarbone, principalement utilisés dans les produits cosmétiques, sont en train de détruire la couche d’ozone. Sans remède, les conséquences pourraient être profondes. C’est un simple cas de profits négligeables contre la possibilité d’un risque catastrophique pour les citoyens comme pour la société. Notre plan d’action semble tout à fait clair. »
L’Environment Protection Agency (EPA), de son côté, prépare des « régulations contrôlant l’émission des systèmes de refroidissement d’ici juin 1978 », pour aller vers une interdiction en 1980… (...)
Que le trou dans la couche d’ozone se referme, c’est en effet une « bonne nouvelle ».
Et c’est bel et bien dû à « la bonne volonté humaine », au protocole de Montréal, pas seulement signé mais appliqué. Mais cette issue ne fut aucunement le fruit d’un fraternel consensus, plutôt d’une lutte, face à des industriels luttant pied à pied, communiquant, déniant, mentant, retardant la régulation de dix années, avec cent mille cancers de la peau par an, ne consentant à signer qu’une fois les molécules de remplacement au point, un nouveau marché s’ouvrant à eux, et prêts de nouveau à lutter pied à pied, communiquer, dénier, mentir…
Et il faudrait que soient effacées les traces de leurs tromperies, criminelles, prêts qu’ils étaient à mettre en péril l’humanité. Il faudrait qu’on les félicite, perdant la mémoire de leurs falsifications. Il faudrait qu’on leur laisse écrire une histoire lisse.
On a juste eu la chance, dans cette bonne affaire, qu’écologie rime finalement pour eux avec profits.