
La poussée des forces talibanes en Afghanistan est saisissante. Les capitales de province tombent les unes après les autres entre les mains des « étudiants en théologie », témoignant d’une démoralisation de l’armée afghane et d’une professionnalisation des forces insurgées. Dont de mystérieux commandos.
Militairement, les talibans ont bien changé. Même si le gros de leurs bataillons est encore constitué d’étudiants issus des madrasas (écoles religieuses) pakistanaises et de paysans qui n’ont souvent guère eu d’autre choix que de les rejoindre, des unités nouvelles sont apparues dans leurs rangs. Et ce sont elles qui ont permis, ces derniers jours, la conquête rapide de quatre capitales de province afghanes, dont des villes importantes comme Kunduz et Sheberghan.
Ce sont elles aussi qui, sans doute, le moment venu, se lanceront à l’assaut des cinq grandes cités afghanes, Mazar-I-Sharif , Hérat, Kandahâr, Ghazni et, enfin, Kaboul. (...)
S’ils sont très loin de constituer l’essentiel des forces talibanes, ces commandos sont néanmoins une mauvaise surprise pour l’armée afghane, car ils témoignent de leur professionnalisation. (...)
Chaque combattant est bien équipé, portant casque, uniforme, bottes, genouillères et dispose d’un fusil d’assaut américain. Selon plusieurs officiers de l’armée afghane, les combattants de Sara Khitta possèdent même des lunettes de visée nocturne sur leurs armes, ce qui permet aux snipers de faire des ravages, la nuit, dans les rangs gouvernementaux. (...)
Ces photos, de même qu’une vidéo de 70 minutes titrée « La caravane des héros#13 », les talibans les utilisent principalement à des fins de propagande. Car les commandos ont aussi pour mission d’aider au recrutement de nouveaux volontaires en montrant que les « étudiants en théologie », ce que signifie le mot taliban en langue arabe, sont aussi des combattants modernes et en capacité de mettre en déroute l’armée afghane, y compris ses forces spéciales. Cette propagande leur sert aussi à l’extérieur de l’Afghanistan, pour montrer leurs capacités opérationnelles.
Rien de comparable avec les séminaristes fondamentalistes des années 1990-2010, formés à la hâte, qui partaient se battre, parfois sur le temps de leurs vacances scolaires, d’où le nom de « talibans saisonniers », sans uniforme ni treillis, seulement vêtus du traditionnel chalwar kamiz et du turban de rigueur et armés de rustiques kalachnikovs. (...)
si la propagande talibane les met en valeur par des photos et des vidéos, elle ne révèle rien d’autre, à commencer par leurs effectifs ; et les responsables talibans, autres que le porte-parole, ne sont pas autorisés à en parler. Cette volonté de garder le secret sur le groupe fait partie d’une stratégie et contribue à les faire craindre davantage. (...)
On sait cependant que l’une de leurs bases se trouve dans le Paktîkâ, dans l’Est afghan, une province frontalière du Pakistan. Le seigneur des lieux est Sirajuddin Haqqani, l’un des membres du triumvirat qui dirige les talibans et le responsable de toutes les opérations militaires de l’organisation. Il est aussi le dirigeant, au sein des talibans, qui a la plus grande proximité idéologique avec Al-Qaïda.
Et, ce n’est pas incompatible, Sirajuddin Haqqani est également l’homme de l’Inter-Services Intelligence (ISI, la branche militaire des services secrets pakistanais, qui a la main sur le dossier afghan) dans la hiérarchie du mouvement. D’où des soupçons portant sur l’implication de l’ISI ou d’Al-Qaïda dans l’entraînement des Sara Khitta – leurs photos et vidéos circulent d’ailleurs sur The Voice of Jihad, le site de l’organisation terroriste. (...)
La création du groupe remonte à 2015, et il a rapidement joué un rôle important dans la reconquête par les talibans de la province du Helmand, haut lieu de la culture du pavot, qu’ils avaient perdue l’année précédente, non sans infliger de lourdes pertes aux forces américaines et britanniques qui les en avaient chassés. (...)
« L’unité du danger » a visiblement été créée à l’imitation des forces spéciales occidentales. (...)
Si les forces talibanes ont changé, leur stratégie aussi. En 1996, quand les talibans avaient conquis le pouvoir et vaincu le commandant Massoud, ils étaient partis du sud de l’Afghanistan pour remonter jusqu’à Kaboul. (...)
Si les forces talibanes ont changé, leur stratégie aussi. En 1996, quand les talibans avaient conquis le pouvoir et vaincu le commandant Massoud, ils étaient partis du sud de l’Afghanistan pour remonter jusqu’à Kaboul. (...)
Or, cette fois, c’est depuis le nord qu’ils ont lancé leur offensive, à la surprise du camp gouvernemental, empêchant dès lors la constitution de forces armées qui leur seraient hostiles. Leur poussée est saisissante autant que fulgurante, sans doute à cause de l’épuisement et de la démoralisation de l’armée afghane. (...)
Puis, comme s’ils voulaient prendre entièrement le pays dans leur nasse, les talibans se sont employés à contrôler les principaux postes-frontières du pays, avec l’Iran, le Turkménistan, le Tadjikistan, le Pakistan, enfin l’Ouzbékistan, depuis la prise, dimanche, de Sheberghan. Bastion du chef de guerre ouzbek, le général Abdoul Rachid Dostom, la chute de cette ville de près de 180 000 habitants était certes attendue mais pas aussi rapidement. (...)
À présent, les rebelles contrôlent désormais cinq des neuf capitales provinciales du Nord et des combats sont en cours dans les quatre autres. Et sur l’ensemble de l’Afghanistan, ce sont six capitales qu’ils ont prises sur trente-quatre. (...)