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LA RESPONSABILITÉ DE LA PRESSE DANS LA RÉPRESSION DE LA COMMUNE DE PARIS
Par Vincent Ortiz - 28 mai 2017 - Le 18 mars 1871 marque le début de la Commune de Paris.Retour ligne automatique Le 28 mai 1871, la Commune de Paris s’achevait dans le sang
Article mis en ligne le 19 mars 2019
dernière modification le 18 mars 2019

La répression de la Commune est sans conteste le massacre le plus sanglant de l’histoire de Paris. La Semaine Sanglante, qui s’est déroulée du 21 au 28 mai 1871, s’est soldée par la mort de 30.000 Communards. Les massacres ont été suivis d’exécutions systématiques et de déportations massives. Les survivants ont été soumis à des persécutions et des humiliations sans nombre. Cet épisode est relativement méconnu par l’histoire officielle. Le rôle des élites intellectuelles et médiatiques françaises face à ce massacre demeure en particulier très peu connu.

(...) LA GRANDE PRESSE ET LES INTELLECTUELS FONT BLOC CONTRE LA COMMUNE

Dès le commencement du soulèvement, les élites conservatrices appellent le gouvernement d’Adolphe Thiers à châtier durement les Communards. Louis Veuillot, dans le quotidien monarchiste l’Univers, s’en prend à la mollesse supposée d’Adolphe Thiers : « le gouvernement de Paris est pitoyable, il laisse la ville sans défense. Ô, Dieu de nos pères, suscitez-nous un homme ! ». La Comtesse de Ségur écrit : « M. Thiers ne veut rien faire qui contrarie les rouges (…) Saint Thiers a pour ces abominables scélérats des tendresses paternelles ». Le camp monarchiste s’impatiente. Il n’est pas le seul. La presse républicaine « modérée » (par opposition aux républicains « jacobins », favorables à la Commune) rejoint peu à peu le concert des appels à la répression. (...)

On peut lire dans le Drapeau tricolore, quotidien républicain modéré : « dût-on noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l’ensevelir sous les ruines de la ville en feu, il n’y a pas de compromis possible« .

« Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent » (...)

Le massacre commence, au grand soulagement de ceux qui l’avaient réclamé pendant des semaines. « Quel honneur ! Notre armée a vengé ses désastres par une victoire inestimable », écrit un rédacteur du Journal des Débats, républicain modéré. « Le règne des scélérats est fini », peut-on lire dans l’Opinion publique, républicain modéré et anticlérical. « Aux armes ! Bruit sinistre qui me remplit de joie et sonne pour Paris l’agonie de l’odieuse tyrannie », avoue Edmond de Goncourt. Certains y voient l’occasion d’en finir avec le péril rouge. « Il faut faire la chasse aux Communeux ! », proclame un journaliste du quotidien libéral Bien public. Un article du Figaro appelle sans détours à un massacre sanglant : « Il reste à M. Thiers une tâche importante : celle de purger Paris. Jamais occasion pareille ne se présentera (…) Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent« . Le poète Leconte de Lisle souhaite « déporter toute la canaille parisienne, mâles, femelles et petits ». Renan, dans ses dialogues philosophiques, en appelle à une « élite de privilégiés, qui régneraient par la terreur absolue ». Emile Zola écrit : « Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres ». Le futur auteur de Germinal, dont la sensibilité à la souffrance ouvrière était indéniable, éprouve alors la crainte d’une insurrection populaire, dont il ne s’est jamais départi. (...)

Pourquoi une telle fureur contre la Commune ? Désabusés par la Révolution de 1848 à laquelle beaucoup avaient pris part, les intellectuels de 1871 étaient devenus plus conservateurs ;

Jules Vallès, communard, et Victor Hugo, conservateur devenu républicain et socialiste, constituent les deux exceptions les plus notables.

La plupart n’étaient pas prêts à accepter une révolution aussi radicale. La romancière George Sand, qui avait conservé des sympathies socialistes et républicaines, s’est montrée très hostile à la Commune par crainte de perdre ses biens matériels ; « mon mobilier est sauvé ! », écrit-elle lorsque la répression commence ; « les exécutions vont bon train, c’est justice et nécessité ». Quant à la grande presse subventionnée par les grands capitaux, elle a dans la grande majorité des cas emboîté le pas aux classes dominantes pour des raisons similaires. (...)

Les mesures politiques et sociales mises en place par la Commune ont terrifié mais aussi stupéfié les grands possédants par leur caractère révolutionnaire ; on le constate à la lecture des journaux et des correspondances de l’époque. La réaction de Flaubert aux lois sociales votées par la Commune est symptomatique : « le gouvernement se mêle maintenant du droit naturel ! ». Imposer des réglementations à l’ordre social et économique, cela équivalait pour lui (comme pour tant d’autres) à intervenir dans le droit naturel, à défier les lois immuables de l’économie et de la société. Plus prosaïquement, le Duc de Broglie voyait dans la Commune « le refus de la plèbe d’admettre l’ascendant des classes supérieures » ; en conséquence, la plèbe devait être châtiée. Jules Vallès n’avait pas tort, lorsqu’il écrivait dans son journal le Cri du Peuple : « vous avez laissé violer Paris, avouez-le, par haine de la Révolution ».

LA SCISSION ENTRE LE PEUPLE ET LES ÉLITES (...)

C’est le républicanisme « modéré » qui a triomphé et est arrivé à la tête de la France en 1877. Il a fallu tous les efforts colossaux d’un Jean Jaurès pour réconcilier le mouvement ouvrier et la République, le drapeau rouge et le drapeau tricolore.

Le massacre de la Commune a donc instauré une scission durable entre les élites républicaines (modérées), parlementaires, journalistes et intellectuels d’une part, et le mouvement ouvrier et populaire de l’autre. Le rôle de la presse et des intellectuels sous la Commune n’y est pas pour rien. La presse, qualifiée de « figariste », était d’ailleurs l’une des cibles favorites des Communards ; les locaux du Figaro et du Gaulois ont été saccagés par des ouvriers parisiens durant la brève existence de la Commune. Cette scission entre les élites médiatiques et le peuple a-t-elle jamais été résorbée ? Toutes proportions gardées, ne peut-on pas expliquer la défiance actuelle de la population vis-à-vis de la grande presse par la révérence de celle-ci à l’égard du pouvoir, par la violence qu’elle déploie contre les mouvements de contestation ? Le phénomène populiste contemporain, c’est-à-dire le rejet populaire des élites politiques et médiatiques, n’est-il pas largement imputable au rôle de cette presse qui prend, depuis deux siècles, le parti des puissants contre leurs opposants ?

Lire aussi : Les écrivains face à la Commune
Le 18 mars 1871 marque le début de la Commune de Paris.
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