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Pour une Constituante
LE MONOLOGUE EUROPEEN : BRUXELLES EST-ELLE, POUR UNE FOIS, CAPABLE D’ECOUTE ?
Article mis en ligne le 3 mai 2015

Alors que la question des migrants en méditerranée occupe l’espace médiatique, Aminata Traoré nous donne une analyse plus globale vue par un des principaux acteurs africains. Aminata Traoré, militante altermondialiste, fut Ministre de la culture du Mali entre 1997 et 2000 sous la présidence de Alpha Oumar Konaré. Elle est, avec Boubacar Boris Diop, Auteur de "La gloire des imposteurs" (Philippe Rey, 2014). Nous publions ce texte avec son accord .

L’INFERNALE COMPTABILITE MACABRE

Assez ! Trêve de diversions !

Ils sont, ils étaient, ils seront des centaines, des milliers, des centaines de milliers à partir pour ne jamais arriver. Et comme d’habitude, après le temps de l’émotion et de l’indignation viendra celui de l’oubli et de l’indifférence. Ils sont, ils étaient, ils seront tous oubliés parce que des politiques économiques inégalitaires et assassines continueront à secréter le chômage et la pauvreté de masse, les conflits armés et le réchauffement climatique. Au cours des vingt dernières années, presque 30 000 personnes ont péri aux portes de l’Europe dont 3 500 en 2014. Depuis le début janvier de cette année 2015 que l’Europe a proclamé « l’année du développement », on estime à 1700 le nombre de morts, voire plus car cette compatibilité macabre est hasardeuse.

L’Europe ne peut contribuer à remédier à cette tendance mortifère de l’évolution du monde globalisé qu’en admettant ce que Michèle Rivasi, députée européenne du parti Europe Ecologie les Verts (EELV), rappelle à propos du Mali : « la nécessité d’analyser l’échec du développement économique qui a délégitimé la démocratie. Les jeunes quittent le pays car ils n’y ont pas d’avenir. Pourtant, le Mali a des atouts dans le secteur agricole ou minier ». Cette remarque est valable pour les conflits armés : les jeunes prennent également les armes au nom de l’ethnie ou de la religion quand le développement économique ne tient pas ses promesses.

ENCORE UN SOMMET ! ET CETTE FOIS CI, ENTRE SOI ?

D’un sommet à l’autre, les dirigeants occidentaux et africains ont cautionné l’idée selon laquelle le développement pourvoira aux besoins du continent, dont ceux des candidats à l’émigration. Il en a été ainsi à l’occasion des conférences euro-africaines de Rabat (juillet 2006), de Tripoli (novembre 2006), de Ouagadougou (mai 2008), de Paris (novembre 2008)… Cette fois ci, les Européens sont entre eux. Dans l’urgence, ils ont décidé de se réunir à Bruxelles pour des solutions d’urgence. Chaque Etat ergote, botte en touche et passe à son voisin. On traite, on sous-traite, on assigne à résidence, on externalise, on envisage un archipel de camps de rétention loin des yeux, loin des droits, même si le cœur n’y est pas…

Les dirigeants africains qui se laissent persuader que notre tour de profiter de la « mondialisation heureuse » est venu et, qu’il leur suffit d’accélérer le rythme de la croissance en la portant de 5% à 8 ou 9 % vont devoir tempérer leur ardeur. Les jeunes subsahariens, par leur mort dans le désert ou en mer, les interpellent au même titre que l’Europe. Au-delà de ces deux continents, les Etats-Unis d’Amérique et l’organisation des Nations-Unies (ONU) sont concernés par cette hécatombe qui vaut à elle seule le bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui s’achèvent cette année. Les dirigeants européens voudront-ils l’interpréter en ces termes ?

NON ! LES PASSEURS NE SONT PAS LES PREMIERS FAUTIFS (...)

Plus que les migrants et leurs parcours, les filières, la situation des pays d’origine et de transit, c’est la nature de l’Europe qui est en question. En plus des rapports de domination qu’elle entretient avec l’Afrique, à qui elle impose son modèle de développement, elle se barricade, devient forteresse mais aussi carcérale. La question n’est pas seulement de savoir si elle fait assez et comment elle s’y prend pour sauver des vies humaines en Méditerranée. Mais qu’a-t-elle fait et que fera-t-elle en amont dans les pays d’origine des candidats au départ ? Et pourquoi les solutions précédemment retenues lors des différents sommets n’ont pas empêché cette catastrophe ? (...)

On arrête les passeurs. Qui traduira devant la Cour Pénale Internationale (CPI) les fauteurs de la guerre en Lybie dont le Mali est la première victime collatérale en Afrique subsaharienne ? Il est pernicieux de poser la question de la gestion des conséquences de cette ingérence en termes de « service après-vente » qui n’aurait pas été assuré. La vérité est qu’elle ne devait tout simplement pas avoir lieu parce que la démocratie ne s’exporte pas. A l’intention des donneurs de leçons de démocratie rappelons que :
 la gouvernance managériale n’a rien à voir avec la gouvernance démocratique, participative et respectueuse des droits humains ;

 le climat des affaires n’a pas plus à voir avec le climat social que la santé de l’économie libéralisée avec celle des êtres humains ;

 la sécurité des investissements n’est pas la sécurité humaine. (...)

DENI DE REALITE

Bien avant la Grèce, le Portugal et d’autres pays européens, aujourd’hui confrontés au chômage, la précarité et la peur du lendemain, nous avons subi, dès la décennie 80, la médecine de cheval de l’ajustement structurel. « Contre l’austérité, pour l’égalité, la justice économique et sociale » sont des mots d’ordre des peuples d’Europe qui auraient pu être mobilisateurs et fédérateurs ici aussi, au Mali, au Sahel et en Afrique, d’une manière générale, si les victimes africaines du capitalisme mondialisé et financiarisé étaient bien imprégnées elles-aussi des causes structurelles du chômage et de leur paupérisation. La quasi-totalité des migrants en difficulté n’aurait pas pris le risque de partir si les politiques économiques mises en œuvre étaient créatrices d’emplois. Les règles de l’OMC sont hautement destructrices. (...)

Au regard de cette réalité, une solidarité de combats s’impose entre les peuples du monde et en l’occurrence, ceux d’Afrique et d’Europe. (...)

Chaque migrant avalé par la méditerranée ou par le désert est l’un de nos enfants. Les cris de ceux qui aujourd’hui périssent au fond des cales s’ajoutent à ceux qui ont déjà sombré dans le ventre de l’Atlantique aux temps maudits de la traite inscrits dans notre chair comme dans notre mémoire. (...)

Parce que nous sommes ces mères inquiètes et pensantes, parce que nos enfants sont en danger, parce que notre monde vacille, apeuré mais aveugle et sourd à leur douleur, nous restons vigilantes et refusons qu’ils soient sacrifiés sur l’autel du marché roi.

CE SONT LEURS RICHESSES

A qui appartiennent les ressources minières (or, platine, fer, bauxite, coltan, nickel, étain, plomb, manganèse, argent…), énergétiques (pétrole, gaz naturel, uranium…), agricoles (café, cacao, coton…), forestières, halieutiques et autres dont l’économie mondialisée a cruellement besoin ? Elles appartiennent à ces enfants qui viennent mourir aux portes de l’Europe. (...)

LA CONVERGENCE DES LUTTES : L’AFRIQUE ET L’EUROPE DES PEUPLES

Bruxelles se dit choquée. Elle a une occasion historique de dire la vérité sur l’ensemble des causes de cette tragédie et de rendre ainsi justice aux peuples spoliés et humiliés d’Afrique. C’est certainement trop lui demander. Mais elle le doit, non seulement par respect pour les vies qu’elle se propose de sauver mais aussi pour ses propres peuples dont une bonne partie se doute qu’il a dû arriver à l’Afrique ce qui arrive en ce moment à la Grèce, à l’Espagne et à l’Italie.

Nous ne voyons pas comment un modèle économique qui ne fait pas le bonheur des peuples d’Europe pourrait sortir l’Afrique de l’impasse. Ce sont les lobbies (cotonniers, pétroliers, miniers, de l’armement et autres) qui déterminent la politique étrangère des puissances occidentales. « Nous sommes cernés » relève Susan George à propos de ce qu’elle appelle « l’autorité illégitime » en Europe. (...)

Il est du gonflement des flux migratoires vers l’Europe comme de la rébellion, au nord du Mali, et du djihad. Ce sont autant de conséquences de l’échec lamentable du développement économique de l’Afrique dans le cadre de la mondialisation capitaliste ; des conséquences que l’Europe n’a pas la volonté ni la sagesse de voir ni de comprendre à travers tous ces corps errants ou sans vie devant ses portes.

Il faut en finir définitivement avec des relations totalement déséquilibrées et essentiellement tournées vers les intérêts de l’Europe, de la finance et du commerce.

Au risque de voir notre monde sombrer.

Le naufrage serait alors global.

Un autre partenariat franco-malien et euro-africain s’impose.