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Le monolecte
LE PARADOXE DE LA CAISSIÈRE
Article mis en ligne le 31 décembre 2019
dernière modification le 30 décembre 2019

L’ultralibéralisme a ceci de particulier qu’en dehors d’être la religion des égoïstes rationnels, c’est aussi une sorte de doxa circulaire dont la principale force est d’enfermer toute réflexion dans des choix impossibles et des alternatives de merde précalculées — des faillites de la pensée — et de nous claironner ensuite à la face jusqu’à preuve du contraire, c’est encore nous les moins pires !.

Prenons la question des caissières, un boulot dur, déconsidéré, payé au lance-pierre et voué à disparaitre… ce qui serait une bonne chose, donc, sauf que le destin des caissières vouées à l’obsolescence programmée, lui, n’est même pas évoqué, tant il est évident qu’elles passeront directement en pertes et profits… surtout en perte, si l’on se penche deux secondes sur la dimension sociale du métier. (...)

La caissière est souvent la dernière personne avec laquelle les délaissés de la société peuvent encore échanger quelques mots. Pas de quoi embellir la journée — encore que… —, mais bien assez pour ne pas laisser se momifier les cordes vocales. Dans l’Aldi du bled, c’est souvent le dernier espace de socialité avant la barbarie du tous contre tous. Tout le monde se connait au moins un peu de vue, on prend des nouvelles des gosses, des chats, du temps qu’il aurait dû faire. On n’idéalise pas non plus le lubrifiant social. Les très pauvres, très moches, pas du coin ou qui puent un peu sont à peu près unanimement méprisés, on ne s’invite pas à prendre un pot en sortant, on ne mélange surtout pas les classes sociales, mais nous sommes bien dans une sorte de zone démilitarisée. Même avec l’impératif de productivité qui brise les corps à la longue, chacun participe d’un ballet informel qui consiste à voler des pauses de convivialité au cœur de la machine.

Au-dessous de la danse des emballages, on collecte des bribes de vie bien plus précautionneusement que les autocollants à gagner des casseroles au prix du platine. Ce n’est rien, mais c’est beaucoup. (...)

Comprendre qu’elles ont toutes perdu pas mal de fric, pour longtemps, mais qu’elles continuent quand même, parce que c’est mieux que rien. Haïr les encostumés qui pleurnichent leur ISF et qui leur ont fait ça.

Il y a aussi le management de rapiat, voire de criminels, les chefs aux aguets pour vider les vieilles à la première erreur, parce que tout ce qui dépasse du SMIC horaire doit disparaitre. Le SMIC, c’est l’ennemi du profit. L’autre ennemi, c’est le corps. (...)

Alors oui, avoir un corps de vieille à 40 ans pour un salaire collé au plancher gluant, sans autre perspective que la misère en invalidité, je dois avouer que ça donne envie de voir disparaitre ce boulot de merde… (...)
Et si vous nous faites trop chier avec vos plaintes, on vous remplacera juste par des robots. (...)

ça ne fait pas chier avec les conventions collectives, les dimanches et les jours fériés, ça ferme bien sa gueule et ça produit du profit en flux tendu jusqu’à ce que ça casse (aussi), sauf que là, on en fabrique un autre1, on balance le tout pété à la décharge sans s’emmerder à lui payer une retraite et/ou une pension d’invalidité perdant des années alors qu’il ne nous sert plus à rien.

Ce que deviennent les surnuméraires, on s’en fout complètement, tant que ça ne nous coute rien, voire que ça nous rapporte un peu. (...)