
« La Banque mondiale s’assied sur les droits humains. Elle les considère davantage comme une maladie infectieuse que comme des valeurs et obligations universelles. » Le propos est tranchant et son auteur, Philip Alston, Rapporteur Spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains l’argumente dans un rapport présenté à l’Assemblée générale de l’ONU le 4 août dernier. |1|
Même si, avec un portefeuille de prêts d’environ 40 milliards de dollars, la Banque mondiale est loin d’être l’acteur financier le plus important dans le « monde du développement », elle en est néanmoins l’institution la plus influente. Et pourtant, « sa politique en matière de droits humains est incohérente, contreproductive et insoutenable ». Le Rapporteur Spécial énonce alors les raisons pour lesquelles il fait ce constat et met en avant une ébauche d’alternatives sur la manière dont la Banque mondiale pourrait véritablement prendre en compte le respect et la promotion des droits humains.
L’hostilité de la Banque mondiale aux droits humains
La première critique qu’il fait est que la Banque mondiale ne s’est jamais donné véritablement la peine de se doter d’une véritable politique cohérente en la matière.
La Banque justifie son attitude en prétendant que la prise en compte des droits humains serait d’ordre politique et qu’elle-même ne serait guidée que par des considérations d’ordre économique. Cette affirmation de la Banque est largement contestable comme on le verra ultérieurement. (...)
la Banque mondiale n’a pas hésité à trouver des justifications pour intégrer des questions qui ne faisaient pas auparavant partie de ses prérogatives comme la corruption, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la gouvernance tandis que les droits humains se trouvent sur une liste réduite de questions politiques et donc interdites à côté .... du soutien aux militaires et aux services de renseignement. (...)
Le rapport souligne qu’en dépit d’obligations contractuelles de l’État emprunteur, aucune mention n’est faite de son obligation nationale ou internationale de respecter et promouvoir les droits humains, pas plus que la responsabilité d’acteurs étatiques comme les forces de l’ordre dans la violence à l’égard des femmes. (...)
Pourquoi cette aversion de la banque à l’égard des droits humains ?
L’expert s’essaie ensuite à donner des motifs pour expliquer pourquoi la Banque refuse de prendre en compte les droits humains.
Une des raisons invoquées est celle de la culture d’une institution dominée par des économistes qui considèrent les choses en termes d’impact économique. Dans cette optique, les droits humains sont considérés comme rigides, opposés au marché et centrés sur l’État. Comme, pour la Banque, la priorité est de placer des prêts à tout prix comme cela apparaît tel quel dans un ses rapports |3| et le coût des procédures de protection dépasse les avantages qui, selon elle, en résulteraient (...)
Selon le Rapporteur Spécial, ce refus de la Banque de prendre en compte les droits humains se base également sur une opinion juridique enracinée dans des politiques du XXe siècle ainsi que sur la notion de ‘relativisme culturel’ soit l’imposition de valeurs occidentales à des pays non-occidentaux.
Sur le plan des sanctions, la Banque mondiale s’embrouille ! Elle prétend ne pas devoir tenir compte des droits humains mais a pourtant suspendu un prêt de 90 millions de dollars destiné à un projet gouvernemental de santé en Ouganda après que ce pays ait adopté une loi draconienne à l’encontre des homosexuels. Ce faisant elle a avoué, au moins implicitement, qu’elle a été guidée par un motif politique - le risque que le prêt ne serve à la discrimination ou à la mise en danger de la communauté LGBT - et non économique. La Banque a, à juste titre, refusé de cautionner ce danger.
Dans son rapport, l’expert engage la Banque mondiale à adopter une nouvelle approche qui intègre les droits humains dans ses projets et ses prêts. Bien que la Banque mette en avant ses politiques de protection comme non génératrices de dommages (do-not-harm), leur couverture très limitée en termes d’obligations de protection des droits humains a fait que de nombreuses violations sérieuses ont été rapportées dans le cadre des projets financés par la Banque. (...)