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La France est-elle la mauvaise élève européenne en matière de maintien de l’ordre ?
#greves #manifestations #retraites #violencespolicieres #Europe
Article mis en ligne le 1er avril 2023
dernière modification le 31 mars 2023

Face à la répression dans les manifestations contre la réforme des retraites ou à Sainte-Soline, Anne-Sophie Simpere, spécialiste des violences policières, pointe plusieurs problèmes structurels du maintien de l’ordre à la française.

Il y a une spécificité française du maintien de l’ordre, notamment quand on regarde le nombre de blessés et la gravité des blessures. Lors de ces dernières années, on a des dizaines de personnes mutilées pendant des manifestations, les unes avec des mains arrachées, d’autres éborgnées. On ne retrouve pas ça dans des pays européens comparables.

Alors que des manifestations violentes, avec notamment des violences de la part des participants, il y en a dans tous les pays. Le Royaume-Uni a connu des situations quasi émeutières, et aux Pays-Bas les manifestations pour s’opposer aux restrictions sanitaires pendant le confinement ont été hyper violentes.

Toutes les polices d’Europe font face à des mouvements qui peuvent être violents : black blocs, qui d’ailleurs sont nés en Allemagne, divers mouvements d’extrême droite ou groupes de hooligans. Et pourtant, la France se distingue par des bilans extrêmement lourds, à la fois en termes de manifestants blessés, mais aussi avec de nombreux policiers et gendarmes également touchés dans les opérations de maintien de l’ordre.

Le manifestant est vu comme un ennemi à contrôler (...)

Dans le schéma national du maintien de l’ordre, il est écrit qu’il faut respecter le droit de manifester. Reste que l’approche est avant tout répressive et recherche comment éviter tout désordre à l’ordre public via l’usage de la force. D’autres polices européennes ont réfléchi à différents types de doctrines, notamment des stratégies pour faciliter le dialogue, la communication et la désescalade avec les manifestants.

Ces réflexions ne sont pas totalement absentes en France (...)

au niveau de certains commandements, on a conscience qu’un autre maintien de l’ordre est possible. Le fait que ce ne soit pas mis en place est un choix politique. (...)

Entre 2010 et 2013, un programme européen nommé « Godiac » sur les bonnes pratiques de maintien de l’ordre a réuni plusieurs polices d’Europe dans le but d’avoir un échange de pratiques sur le maintien de l’ordre via la désescalade, notamment face à des mouvements auxquels les polices n’étaient pas habituées : des manifestations plus horizontales, avec plus de mouvements de blocage ou d’occupation. La France n’a pas participé pas à cette réflexion. (...)

Le fait de privilégier le dialogue et la coopération avec les manifestants est imposé depuis 1985 par la Cour constitutionnelle allemande. (...)

Quel contrôle pour la police ?

En France, au contraire, on a à la fois des interventions extrêmement brutales et très peu de responsabilités pour les policiers qui commettent des violences illégales. C’est encore un autre enjeu : comment contrôler la police en France ?

Aujourd’hui, il y a le Défenseur des droits, qui est un organisme indépendant, mais avec très peu de moyens et de pouvoir. Et sinon ça revient à l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), constituée de policiers. Il s’agit donc d’un contrôle essentiellement interne et souvent très bienveillant vis-à-vis des autres policiers. La plupart des enquêtes sur les violences policières ne sont d’ailleurs même pas menées par l’IGPN, mais par d’autres services d’enquête, qui sont extrêmement proches des policiers mis en cause.

Dans d’autres pays, pour les violences les plus graves, les mécanismes d’enquête sont plus indépendants (...)

Une police trop armée

Un autre élément distingue la police française des polices européennes : les armes. C’est la seule police qui utilise des grenades de type explosives, ainsi que des grenades de désencerclement, qui balancent des plots susceptibles de crever des yeux – ce qui est arrivé lors de la manifestation du 23 mars à Paris à un cheminot. (...)

Des pistes pour changer

Ça va prendre du temps de réformer le maintien de l’ordre en France. Même en changeant la stratégie sur le papier, il faudra la transmettre sur le terrain et là..., ça fait quand même plusieurs années que les forces de l’ordre sont habituées à pratiquer un maintien de l’ordre violent.

Beaucoup d’unités qui interviennent aujourd’hui dans les manifestations ne sont pas formées au maintien de l’ordre. Notamment les brigades anticriminalité (BAC), mais aussi les BRAV-M [brigades de répression de l’action violente motorisées]. Ça fait pourtant longtemps qu’il y a des recommandations pour que seules des unités formées participent à la gestion des rassemblements.

Il faudrait aussi revoir les objectifs fixés aux forces de l’ordre. (...)

À court terme, des décisions intéressantes pourraient être prises rapidement. Le retrait de certaines armes d’abord : les grenades de désencerclement, les grenades explosives et les LBD. Ça peut aller vite et ça enverrait un signal positif à la société civile. Mettre en place un organe de contrôle de la police vraiment indépendant également. Ensuite, sur les stratégies, les formations et sur le fait de renouveler l’état d’esprit dans la police, le changement va prendre plus de temps, mais il faut le commencer dès maintenant. Il ne doit surtout pas se limiter à la gestion des manifestations : les violences policières y sont très visibles, mais il ne faut pas oublier qu’elles s’exercent quotidiennement dans les quartiers populaires. Les réformes doivent prendre en compte cette réalité.