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La France s’apprête-t-elle à mener des assassinats ciblés avec ses drones militaires ?
Article mis en ligne le 12 décembre 2014
dernière modification le 9 décembre 2014

L’armée française se livrera-t-elle prochainement à des exécutions extrajudiciaires par drones interposés au Mali, en Irak ou ailleurs ? Le ministère de la Défense étudie discrètement la question, dans la perspective d’armer les drones états-uniens « Reaper » que la France a achetés et de développer ses propres « drones tueurs » avec les grands groupes de l’industrie de l’armement. Autoriser les frappes de drones armés signifie, de fait, rétablir la peine de mort et risquer de commettre des crimes de guerre contre les populations civiles. Alors qu’aucun véritable débat public sur le sujet n’a encore eu lieu. Enquête.

Les Reaper achetés par la France ne sont pas, pour l’instant, armés de missiles. Mais techniquement, ils pourraient l’être demain. L’armée française en a-t-elle le projet ? Auditionné au Sénat le 29 octobre dernier, le délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon, répondait aux parlementaires : « Une question majeure demeure : le second système de drone Male (pour moyenne altitude, longue endurance, ndlr) doit-il être armable ou non ? N’ouvrons surtout pas le débat. L’important est de les obtenir vite. On verra le reste après ! » Achetons très vite des drones, on se posera la question de leur utilisation ensuite.

Bienvenue dans la guerre aérienne du futur

Élus et citoyens seront-ils placés devant le fait accompli ? Le chemin vers les drones armés semble tout tracé. (...)

« Quelques jours après son arrivée sur le sol africain, le drone français réalisait ses premières missions opérationnelles dans le ciel malien », se félicitait en mars le ministère de la Défense, après les premiers vols du premier drone Reaper français. À peine acheté aux États-Unis, l’appareil a été immédiatement engagé au Mali, dans le cadre de l’opération Serval. Quelques mois et une intervention militaire plus tard, l’armée française a acquis un deuxième Reaper. Pour l’opération “Barkhane” de lutte contre le terrorisme [1], lancée depuis août dans la région du Sahel, les drones « appuient les phases offensives ». La France s’apprête à en acquérir davantage : la dernière loi de programmation militaire prévoit d’acheter neuf engins de ce type d’ici à 2019. Le drone ne connaît pas l’austérité : le tout coûtera environ 670 millions d’euros.

Les mêmes appareils que les "chasseurs-tueurs" américains (...)

Personne ne s’attend à voir arriver des drones armés de fabrication européenne avant 2020. C’est bien pour cela que le gouvernement casse sa tirelire pour des Reaper américains. Eux sont opérationnels, et peuvent être armés de suite. (...)

le ministère de la Défense se demande si envoyer des drones au-dessus du Sahel, de l’Irak ou d’autres zones conflits pour assassiner une personne précise sera jugé acceptable par l’opinion. Car ce type d’opérations, déjà massivement menées en toute opacité par les États-unis, posent de nombreuses questions : doit-on parler d’opérations de guerre banales ? D’exécutions extrajudiciaires ? De rétablissement de la peine de mort ? Et que se passera-t-il en cas de dégâts « collatéraux » ?

L’étude du ministère de la Défense réserve son lot de formulations inquiétantes. Par exemple quand elle s’interroge sur les implications juridiques possibles de tirs mortels (...)

Un « drone armé doté de missiles similaires au Hellfire américain », possède un « cône de mortalité » de 15 mètres. Traduction : le missile tiré par le drone peut occire tout ce qui se trouve à quinze mètres de la cible. Le danger de toucher des civils est donc grand. Qu’importe puisque, selon l’étude du ministère, « les frappes à distance permettent d’épargner la vie de nos hommes ». (...)

Reste un prroblème : la France a aboli la peine de mort. Ces « frappes à distance sur cibles humaines stratégiques » pourraient donc être contraire au droit. L’étude y répond à sa manière : le jugement ne dépendra pas du « bourreau » – le drone et ceux qui l’activent – mais des « plus hautes autorités de l’État » (...)

Cette étude prospective qui envisage des opérateurs de drones chargés « d’exécuter la peine capitale » émane bien d’un ministère de la Défense français en 2014, sous un gouvernement socialiste… L’enjeu est de préparer les esprits. Et d’éviter que les opérations menées par des drones tueurs français ne suscitent la même défiance qu’aux États-Unis et soient « frappées du même opprobre ». Les armées françaises devront donc mettre en place « un certain nombre de mesures d’accompagnement de leur action »... (...)

« Les drones impliquent une nouvelle forme de guerre, très problématique, qui joue sur les notions de souveraineté et de champs de bataille. Et met à mal tout ce qui relève du droit international humanitaire, sachant toutes les bavures que ça entraîne », analyse Aziza Riahi, chargée d’étude à l’Observatoire des armements, une association française de veille sur la question des armes. Amnesty International doute fortement de la légalité des frappes de drones au Pakistan. Pour l’ONG, les attaques « pourraient s’apparenter à des crimes de guerre ou à des exécutions extrajudiciaires ».
(...)

Le ministère de la Défense, et plus largement l’Union européenne, promouvront-ils cette politique d’assassinats ciblés ? La question se pose d’autant plus que ces armes d’un nouveau genre prolifèrent. La France n’est pas seule dans la course aux drones armés. C’est toute l’Europe qui s’y met. (...)

En matière de drones militaires, Israël est l’autre pays pionnier. Et partage volontiers sa technologie. L’entreprise française Thales développe par exemple le drone militaire Watchkeeper en partenariat avec le fabricant d’armes israélien Elbit, dont les drones ont déjà été utilisés à Gaza, tuant une centaine de civils [5]. (...)

Les firmes françaises d’armement bénéficient de larges subventions européennes pour développer des drones à des fins sécuritaires et militaires. (...)

« Les citoyens européens subventionnent sans le savoir une industrie des drones controversée. Ils sont pourtant systématiquement exclus de tout débat sur leur usage », pointe l’organisation Statewatch. En Europe, le débat sur l’usage des drones commence à peine. (...)

C’est un fait. Les technologies militaires vont bien plus vite que le droit. Dans le domaine des drones, la prochaine innovation en cours de développement, ce sont les robots tueurs. Des armes autonomes qui auraient la capacité de choisir les cibles et de tirer sans aucune intervention humaine… L’ONG Human Rights Watch a lancé l’an dernier une campagne pour une interdiction préventive et totale de ces armes autonomes. « La France a un besoin urgent de drones », expliquait Jean-Yves le Drian au printemps 2013. Le pays a aussi un besoin urgent de véritable débat démocratique sur ce sujet. (...)