
(...) Cet article s’inscrit dans une série qui revient sur le traitement médiatique de l’actualité des négociations entre la Grèce et ses créanciers. Après un premier article consacré au Monde, ce second article est dédié à Libération qui a la particularité de compter comme correspondant à Bruxelles Jean Quatremer, éminent expert du « mal grec », auquel il a consacré un documentaire sous forme de « psychanalyse de la Grèce ».
Autant le dire tout de suite : la ligne éditoriale du quotidien ne se confond pas avec les positions de Jean Quatremer. Un fossé semble parfois séparer les articles du correspondant de Libération à Bruxelles, qui se placent nettement du point de vue des créanciers de la Grèce, et d’autres articles plus critiques à l’égard des institutions européennes, comme ceux de Maria Malagardis, qui écrit régulièrement dans le quotidien en tant qu’envoyée spéciale à Athènes. (...)
il suffit, pour commencer, de jeter un premier coup d’œil aux titres de leurs derniers articles pour constater que leurs approches diffèrent.
Jean Quatremer semble prendre un malin plaisir à décrire, depuis Bruxelles, l’isolement du gouvernement grec :
- « Athènes de plus en plus isolé face à ses créanciers » (20 avril) ;
- « À Bruxelles, l’évidence du respect des traités » (17 avril) ;
- « UE : le gouvernement Tsípras déjà dos au mur » (30 mars) ;
- « Aléxis Tsípras cerné par les dirigeants européens » (20 mars) ;
- « Athènes fléchit, Bruxelles valide » (24 février).
Les articles de Maria Malagardis, dont certains sont écrits depuis Athènes, se font davantage écho du point de vue des Grecs :
- « En Grèce, l’impression d’être saigné par l’UE » (17 avril) ;
- « Yánis Varoufákis, l’enlèvement du bel Hellène ? » (25 mars) ;
- « Tsípras-Merkel : le tête-à-tête des entêtés » (22 mars) ;
- « Aléxis Tsípras passe la première à fond à gauche » (9 février) ;
- « Un "coup d’État financier" qui ne passe pas en Grèce » (5 février).
Il serait réducteur d’y voir une simple différence d’angle liée aux rôles respectifs des deux journalistes (envoyée spéciale à Athènes / correspondant à Bruxelles). De claires divergences d’appréciation apparaissent sur de nombreux aspects, par exemple s’agissant du ministre des Finances Yanis Varoufakis.
(...)
Jean Quatremer et Maria Malagardis ne sont pas les seuls journalistes à traiter de la Grèce à Libération [2], mais leurs divergences sont significatives. Elles illustrent l’opposition entre deux perceptions de la crise grecque, mais aussi entre deux conceptions de l’information : un journalisme de coulisses d’une part, qui se contente peu ou prou d’éditorialiser le discours officiel (ou officieux) des institutions européennes [3] ; et un journalisme de terrain, qui donne un éclairage sur la situation en Grèce, et s’efforce de prendre de la distance vis-à-vis du storytelling institutionnel. Fort heureusement, il existe encore, à Libération, des alternatives au journalisme « embarqué » de Jean Quatremer pour informer sur les enjeux européens.