
Vus du ciel, des forêts comme un océan de vert, un fleuve puissant et majestueux, des montagnes et des collines escarpées, aux saignées de terre rouge… Non ce n’est pas un documentaire touristique, ce sont des images du Congo que Thierry Michel, cinéaste, photographe et journaliste belge filme depuis plus de vingt-cinq ans [1].
En onze films il a retracé les grands thèmes de l’histoire de ce pays, l’ex-Zaïre devenu la République démocratique du Congo (RDC). C’est lors du tournage de « L’Homme qui répare les femmes », consacré au travail du docteur Mukwegue dans l’est du pays, qu’il a pris conscience de l’ampleur des massacres dont ont été victimes les populations depuis le milieu des années 90. C’est à l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame au Rwanda que deux millions de civils se sont réfugiés au Zaïre dans de gigantesques camps de réfugiés. Au prétexte de lutter contre les génocidaires hutus mêlés aux civils non armés, le FPR de Paul Kagame envahit alors le Congo en 1996. C’est le début de 25 ans de massacres et d’impunité qui ravagent la RDC. Les victimes se comptent par centaines de milliers, et les auteurs de ces crimes sont innombrables : des mouvements rebelles, mais aussi des armées, celles du Congo et des pays voisins.
Thierry Michel a décidé de clore son cycle de films consacrés au Congo en nous entraînant dans son enquête sur les crimes de guerre, les crimes de masse et les crimes contre l’humanité commis en RDC dans le quasi silence et l’indifférence des autorités congolaises et de la communauté internationale.
Tous les témoignages, comme les images d’archives, sont terriblement bouleversants. De leur côté les experts de l’Onu qui ont enquêté, témoignent de leur impuissance à faire connaître la vérité. Le Rapport Mapping a en effet été « rangé dans un tiroir » quelque part au siège de l’Onu où, plus de dix ans après sa publication, ce travail colossal est condamné à l’inutilité. L’assassinat de deux des jeunes experts de l’Onu pris dans un guet-apens, filmé par ses auteurs, n’a même pas donné lieu à une enquête quant aux casques bleus que l’Onu maintient dans le pays ils ont été totalement impuissants à s’opposer aux massacres. Alors que les recommandations du Rapport Mapping auraient dû entraîner la mise en œuvre d’un mécanisme judiciaire, aucune initiative sérieuse n’a été soutenue par les Nations unies pour faire la vérité sur ces crimes de masse commis de 1993 à 2003 et faire juger les coupables (dont la plupart sont bien connus) ou mettre en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle et les accords de paix successifs ont privilégié des solutions politiques à court terme qui n’ont pas permis de protéger les civils.
L’ambition de Thierry Michel rapportée par l’Humanité du 1er juillet 2021 est de donner « les clés de compréhension de la tragédie, toujours d’actualité, dans laquelle s’enfonce ce grand pays africain ». Il poursuivait : « Il constituera une preuve accablante qui mettra fin au silence et à l’impunité. Les gens verront dans le film les lieux, les témoins, les survivants et les archives qui ne peuvent pas mentir. Mon film doit réveiller les consciences. C’est un cri et un appel à la justice ! ».
Ce film aux images souvent insoutenables doit effectivement nous interpeller afin qu’il ne nous soit pas permis de dire un jour : « je ne savais pas » ! (...)
Il va servir de support à la campagne « Justice for Congo » dont l’objectif est la sensibilisation du grand public pour exiger la fin de l’impunité, une forme de réparation pour les victimes par la création de tribunaux locaux et internationaux et mettre en œuvre des actions, chacun à son niveau, pour assainir le marché des « minerais de sang ».
Lors de la remise de son prix Nobel en 2018 Denis Mukwegue proclamait :
« Je viens d’un des pays les plus riches de la planète. Pourtant, le peuple de mon pays est parmi les plus pauvres du monde. La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles – or, coltan, cobalt et autres minerais stratégiques – alimentent la guerre, source de la violence extrême et de la pauvreté abjecte au Congo. Ajoutant « Il n’y a pas de paix durable sans justice. Or, la justice ne se négocie pas. »