
La procréation médicalement assistée suscite des controverses y compris au sein des écologistes. Place de la technique, marchandisation, « naturel » ou pas, désir d’enfant : Reporterre a passé en revue les thèmes qui font débat.
Entre les proches d’Europe Écologie-Les Vert (EELV), les critiques de la technique et les écologistes catholiques , difficile de se mettre d’accord.
« Les écologistes peuvent s’opposer à la PMA pour plusieurs raisons, explique Noël Mamère, ancien député écologiste, lui-même favorable à l’accès à la PMA pour toutes les femmes. Certains parce qu’ils portent une critique de la technique — ce n’est pas parce qu’une technique existe qu’il faut l’utiliser, sans se poser la question de jusqu’où on peut aller. D’autres, les écologistes conservateurs, se réfèrent à l’“écologie intégrale” définie par le pape François dans son encyclique Laudato Si’. » Avant de rappeler que « l’immense majorité des écologistes est favorable à l’accès à la PMA pour toutes les femmes, parce que si on l’autorise aux couples stériles, il faut l’autoriser à toutes, au nom de l’égalité ». C’est d’ailleurs la position officielle d’Europe Écologie - Les Verts et des autres partis écologistes de gauche.
Ces clivages ne sont pas récents et concernent toutes les questions liées à la reproduction. (...)
Les désaccords sur la PMA sont la suite logique de ces disputes originelles. Valérie Marange, féministe et rédactrice à La Gueule ouverte, se souvient très bien des premières discussions intenses sur ces nouvelles techniques procréatives, à la fin des années 1980. Là encore, les écologistes se sont bricolé des solutions bien à eux : « Dans Le magasin des enfants [éd. François Bourin, 1990], nous avons évoqué l’insémination artisanale [insémination effectuée sans assistance médicale, avec recueil du sperme frais du donneur dans un récipient puis injection dans le vagin à l’aide d’une pipette-seringue] comme une solution. Nous défendions l’idée qu’il n’y avait pas besoin de médicaliser l’insémination à outrance. »
« Jusque dans les années 1970, les inséminations se déroulaient de manière artisanale dans le cabinet du médecin, confirme le pasteur protestant, écrivain et militant écologiste Stéphane Lavignotte. Mais comme cet acte avait trop d’accointances avec un adultère, il a été médicalisé pour être neutralisé d’un point de vue moral. Les inséminations artificielles hors milieu médical ont ensuite été interdites en 1994. » (...)
Or, le débat de fond sur la PMA et sa technicisation n’a jamais vraiment eu lieu, considèrent certains écologistes. « Les hommes technocritiques n’ont pas fait leur travail, regrette Aude Vidal, qui anime depuis dix ans un blog écologiste et féministe. Des personnes qui se présentaient comme technocritiques et critiquaient la PMA, comme Jacques Testart [biologiste qui a permis la naissance du premier « bébé-éprouvette » en 1982, tout en étant très critique sur ces techniques], ont plutôt recouru à des arguments psychologiques du développement des enfants et du rôle des pères sans creuser les aspects techniques. » Il n’y a pourtant pas grand-chose à voir entre une insémination artificielle simple et une fécondation in vitro (FIV) avec diagnostic préimplantatoire.
Peut-être parce que la critique de la technique n’est pas l’unique raison pour laquelle certains écologistes s’opposent à la PMA. Stéphane Lavignotte identifie aussi « un arrière-fond théologique pas du tout assumé au débat » : pour nombre de catholiques, « le couple et la famille sont des choses naturelles, qui ont existé de tout temps et existeront à jamais, sans évolution possible. En sortir serait contre nature et immoral ». (...)
À une vision de la famille pétrie de catholicisme s’ajouterait un climat homophobe. Pour Gwen Fauchois, activiste lesbienne féministe et vice-présidente d’Act Up Paris dans les années 1990, c’est « flagrant » (...)
Le collectif Pièces et main d’œuvre, très critique de ce qu’il appelle « la reproduction artificielle de l’humain » y compris pour les hétérosexuels, est ainsi connu pour avoir tenu des propos homophobes dont un texte faisant référence aux « tordus queer » [1] De même, le numéro de juillet-août du journal La Décroissance consacrait un dossier très problématique sur le couple et la famille, intitulé « Grande confusion ou altérité ? », développant des idées discriminantes et mélangeant des termes qui n’ont rien à voir : transgenre, transhumanisme, LGBT, gender studies.
Les écologistes opposés à la PMA pour toutes se défendent de toute homophobie. (...)
Faute d’un débat de fond, la PMA est donc restée un sujet inachevé parmi les écolos, chacun et chacune se retranchant derrière ses positions bricolées de lectures et de convictions. Quelle pourrait être une réponse écolo aux nombreuses questions soulevées par la PMA ? Reporterre va tenter d’éclaircir le débat.
Débat no 1 : jusqu’où doit aller la technique ? (...)
Avec la PMA resurgit en effet la crainte d’ouvrir « la boîte de Pandore de l’eugénisme et du transhumanisme », selon le mot de José Bové.
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« ce qui continue de poser question, c’est le pouvoir médical qui peut valider le désir d’enfant des femmes ou juger bon de donner des traitements hormonaux pour booster l’ovulation, mais également de choisir le donneur à la place des femmes, souvent sur des critères raciaux », enchérit Aude Vidal. Illustration de ce « pouvoir médical », la notion même d’infertilité — qui permet aujourd’hui de recourir à une AMP légale et remboursée — est toute relative (...)
Selon certains médecins, comme Martin Winckler, il faudrait ainsi attendre deux ans d’essais infructueux pour envisager des problèmes d’infertilité, alors qu’on se presse de les diagnostiquer bien avant, parfois au bout de neuf mois de non-conception. Et les autrices de conclure : « En l’absence de limite claire entre personnes et couples fertiles et infertiles, la fertilité ne peut constituer un seuil. »
Une médicalisation qui « peut se révéler violente pour les femmes », d’après la naturopathe Audrey Guillemaud, (...)
Et si la stimulation ovarienne peut se révéler nécessaire dans des cas d’infertilité, pourquoi l’utiliser dans des PMA de lesbiennes ? « On leur met la pression, en leur disant “c’est cher, vous êtes obligées de venir jusqu’à Barcelone, donc on va vous booster avec des hormones, voire faire des FIV, pour être sûr que la première fois soit la bonne” », dénoncent Aude Vidal et Aude Vincent. « Il y a des femmes qui sont prises pour des pompes à fric par des boîtes qui essayent de leur refourguer des traitements dont elles n’ont pas besoin. » (...)
Débat no 2 : comment limiter la marchandisation ?
En France, la PMA des couples hétérosexuels infertiles est remboursée par la Sécurité sociale et les dons de sperme et d’ovocyte ne sont pas rémunérés. Mais à l’étranger, des cliniques font leur beurre sur le désir d’enfant de femmes et de couples désespérés et monnayent des services supplémentaires, comme le choix du sexe de l’embryon. Les donneurs et donneuses les plus convoités pour leur beauté ou leur intelligence vendent leurs gamètes à prix d’or pendant que d’autres, parmi les plus pauvres, multiplient traitements hormonaux, ponctions et vente d’ovocytes pour gagner leur vie (voir l’article « PMA : de quoi parle-t-on ? ») (...)
Débat no 3 : est-ce que c’est naturel ?
Derrière les critiques techniques et économiques de la PMA sourd très vite la question de « l’ordre naturel des choses ». La philosophe catholique conservatrice Marianne Durano, de la revue d’« écologie intégrale » Limite et cofondatrice des Veilleurs, opposés au mariage pour tous, se demande « si la technique est là pour respecter la nature ou pour outrepasser les limites naturelles, pour modifier le vivant et ses équilibres ». La réponse à sa question est, selon elle, évidente : « Permettre à un couple hétérosexuel de procréer avec un don de sperme, c’est restaurer un équilibre naturel perturbé par une pathologie. Alors que dans le cas d’une femme seule ou d’un couple de femmes, il n’y a pas de pathologie. (...)
Cyril Lecerf Maulpoix s’étonne « qu’on continue à enchanter le miracle de la reproduction hétérosexuelle comme un phénomène naturel et qu’on omette la constellation de techniques et de pratiques l’encadrant actuellement ». Des méthodes contraceptives à la médicalisation de l’accouchement, la technique n’est pas absente de la reproduction hétérosexuelle. (...)
« Rapporter le débat à une nature essentialisée et complètement imaginaire, c’est se tromper, enchérit Stéphane Lavignotte. La nature n’est pas un grand ensemble mythique qui réunirait les arbres, les animaux et une vraie nature de l’humain. » Se référant au philosophe Serge Moscovici, M. Lavignotte poursuit : « La nature a une histoire, elle évolue en permanence. Si dimension naturelle il y a, elle est sauvage, mouvante, subversive, et pas du tout figée. » (...)
. Laure Noualhat pointe un autre débat, celui des limites. Ou plutôt à l’absence de limites : « En matière d’énergie, de consommation, de débauche, on est dans une logique du toujours plus, déplore-t-elle. Avoir un enfant à tout prix, c’est ça qui me pose problème. » Un « problème éthique et personnel », précise la journaliste qui a fait le choix de ne pas avoir d’enfant, parce que « le renoncement est au cœur du projet et de la structure même de l’écologie, considère-t-elle. On n’arrivera à rien avec l’aménagement des petits désirs des uns et des autres, en faisant une transition pour que ce soit plus renouvelable ». Sans compter que « faire un enfant dans le monde qui survient, c’est mettre une victime au monde », conclut la journaliste, profondément écolo-pessimiste.
Débat no 4 : que faire du désir d’enfant ?
Avec la PMA pour toutes, il s’agit de questionner la filiation. Gwen Fauchoix milite pour que tous les parents, homos ou hétéros, « adoptent leur enfant même s’il y a un lien biologique » : « Je ne vois pas pourquoi une filiation adossée à la procréation charnelle serait une garantie d’une bonne parentalité. On pourrait imaginer des rites où les parents s’engageraient vis-à-vis de leur enfant. » (...)