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Attac 33
La « Pax Americana »
Jean-Luc Gasnier
Article mis en ligne le 15 juin 2013

Pour Barack Obama , pour les dirigeants républicains et démocrates, pour l’administration des Etats-Unis, ce sont des traîtres accusés « d’aide à l’ennemi », des hommes à neutraliser, presque des terroristes. Pour beaucoup d’autres, pour tous les citoyens attachés au respect des droits de l’homme, ce sont des héros. Bradley Manning (emprisonné et en cours de jugement) et Edward Snowden (exilé à Hong Kong) , en révélant au grand public, à leurs risques et périls, des informations diplomatiques et militaires compromettantes pour Washington, et en dénonçant les abus de l’agence de sécurité nationale américaine, sont des lanceurs d’alerte particulièrement inquiétants pour la Maison Blanche : ils démontrent que la barbarie et la violence qui accompagnent si souvent le drapeau étoilé sur tous les terrains de la planète sont bien au cœur du système américain ; ils mettent en accusation une organisation liberticide mise en place prétendument au nom de la défense du monde libre.

Après Julian Assange, Bradley Manning et Edward Snowden dévoilent à nouveau une des faces cachées de la mondialisation : l’instrumentalisation du web et des grands groupes américains du secteur pour tisser une toile inquisitrice autour de la planète et de ses habitants. La mondialisation des réseaux de communication peut aussi servir à conforter la puissance et à asseoir la domination des USA .

L’attentat du 11 septembre qui avait fait dire à Jean-Marie Colombani, alors directeur du Monde, que « nous sommes tous des américains », n’en finit pas de charrier ses scories malsaines. En s’appuyant sur la technologie numérique par le biais du système Prism, le Patriot Act place le monde entier sur écoute. Il enferme tous les utilisateurs du net dans une logique terriblement binaire, manichéenne  : nous sommes effectivement tous des « américains » surveillés, contrôlés, pour ou contre l’Amérique, ami ou ennemi, soutien ou contestataire suspect, soumis au totalitarisme d’une surveillance englobante. Le Patriot Act fait des USA une citadelle assiégée, en guerre larvée contre tous ceux qui ne partagent pas la même conception de la société. La lutte contre le terrorisme alimente une gigantesque paranoïa, lourde de menaces et de régressions, et disposant désormais d’outils particulièrement invasifs.

L’Amérique était dangereuse sous Bush, elle ne l’est pas moins sous Obama.
L’exécutif américain peut bien changer d’habits, il reste habité par les mêmes démons. Il n’en est que plus dangereux lorsqu’il est représenté par un démocrate noir, avenant, communicant, et de surcroît Prix Nobel de la paix : les contre-pouvoirs se relâchent

. Mais certaines réalités sont désormais trop criantes ; Guantanamo n’est toujours pas fermé et sa conversion à l’idéologie sécuritaire est chaque jour plus décomplexée, ses propos pour justifier le programme PRISM sont d’ailleurs édifiants :"Vous ne pouvez pas avoir 100% de sécurité, 100% de respect de la vie privée et aucun inconvénient. Il faut bien, en tant que société, faire des choix". Et certains journalistes s’érigent contre un pouvoir démocrate qui perd totalement ses repères : « Oui, c’est pire que sous George W. Bush », clame Chris Hedges, ancien journaliste du New-York Times quand David Talbot, fondateur du site politique américain Salon parle d’«  une guerre contre les libertés civiques, et contre tous ceux qui pourraient éventuellement dénoncer les crimes de l’élite au pouvoir  » en soulignant que « ce ne sont pas seulement les Bradley Manning et Julien Assange qui souffrent de cet Etat ‘secret’, c’est aussi des hackers et des journalistes en lien avec le réseau des Anonymous ou WikiLeaks, qui sont sujets au harcèlement du FBI, aux détentions dans les aéroports, aux arrestations  ».

Le développement des réseaux sociaux à l’échelle planétaire est un élément, un vecteur de démocratie et d’expression directe dont le rôle positif a été souligné lors d’événements récents, notamment dans le cadre du « printemps arabe ». Mais, dans le même temps, les progrès de la technologie de la surveillance fournissent aux pouvoirs en place et aux tyrans potentiels de nouveaux moyens de sujétion. Ce sont les deux faces opposées d’une mondialisation de la communication, une face tournée vers le progrès et l’espérance, vers l’avenir, et une face tournée vers la régression démocratique, l’obscurantisme, le totalitarisme, qui doivent appartenir à un passé révolu.

Ces deux faces de la mondialisation sont à l’image du Dieu Janus qui était justement dans la mythologie romaine le gardien des passages et des croisements, divinité du changement et de la transition. Avec le programme PRISM, nous sommes confrontés à la mauvaise face et nous sommes bien menacés par une transition vers « la Nouvelle Ere numérique »(lire à ce sujet l’article du Monde en lien), une ère où « la démocratie se trouve subvertie par les technologies de surveillance, et le contrôle est rebaptisé avec enthousiasme "participation" », l’ère du monde merveilleux de la normalité américaine.

Ce qu’on appelle le libéralisme politique n’ a jamais été aussi éloigné des idéaux de liberté qu’il est censé représenter. Aujourd’hui le libéralisme ne porte finalement qu’une seule liberté : la liberté des puissants qui alternent les postes de pouvoir au sein des grandes entreprises et au sommet de l’Etat ( avec le système des « revolving doors » couramment pratiqué aux USA mais aussi dans tous les pays occidentaux). Cette liberté est de plus en plus souvent obtenue par la contrainte et la soumission des autres acteurs au moyen d’ un détournement ou d’ une violation du droit par l’exécutif. Cela permet de gagner du temps . . .

Et la mondialisation libérale représente réellement une menace totalitaire : celle de soumettre au prisme de la pensée dominante l’ensemble des habitants de la planète.

Dans ce contexte, les négociations qui commencent entre les USA et l’UE afin de parvenir à un accord de libre-échange (ALE), négociations confiées aux commissaires européens, doivent absolument faire l’objet d’une vigilance citoyenne. Les USA et leurs transnationales recherchent par le biais d’un tel accord la possibilité de pénétrer encore davantage le marché européen et de modeler les sociétés du vieux monde à leur image, notamment en cas de remise en cause de la fameuse « exception culturelle ».

Ce serait aussi l’occasion pour Barack Obama, prix Nobel de la paix, de porter encore un peu plus loin la Pax Americana.