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La Russie aura bien du mal à se remettre de cette guerre, quelle qu’en soit l’issue
Article mis en ligne le 22 mars 2022

En lançant son offensive contre le gouvernement de Volodymyr Zelensky et le peuple ukrainien, Vladimir Poutine s’est mis au ban de la communauté internationale.

Faute d’avoir réussi à mettre l’Ukraine à genoux en quelques jours, Vladimir Poutine n’a plus qu’une solution : détruire les villes et massacrer la population civile pour obtenir un cessez-le-feu dans des conditions qui, espère-t-il, pourraient lui être favorables. Non seulement il n’est même pas sûr de gagner ce pari fou, mais il peut être certain que son peuple va payer très cher ces actes de barbarie. (...)

Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie à l’Ifri, a résumé ainsi le 16 mars devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef) les erreurs commises par Poutine : « Il a sous-estimé la volonté des Ukrainiens de défendre leurs libertés et la réaction de l’Occident, il a surestimé la capacité de son armée et la résilience de son économie. » Il lui reste « deux facteurs d’incertitude. Le soutien de la société russe et le soutien extérieur, notamment de la Chine et de l’Inde. » (...)

Pour Poutine, cela finira mal

Pour lui, personnellement, les jeux sont faits. Son image de chef d’État est définitivement abîmée, plus aucun dirigeant d’un État démocratique ne voudra encore lui serrer la main. Et le coût de cette guerre lui sera fatal. Ce n’est qu’une question de temps, mais, en l’occurrence, le temps risque d’être long. L’oligarque Sergueï Pougatchev, aujourd’hui réfugié à Nice après s’être illustré en France par le rachat d’Hédiard et le financement de la prise de contrôle de France-Soir par son fils –deux aventures qui ont mal tourné– affirme dans Les Échos Week-End que la fin devrait être proche. « Le pays tombe en ruines. Soit cela va se finir par un coup d’État, soit quelqu’un va l’assassiner. Cela va forcément avoir lieu dans les trois prochains mois. » Un tel dénouement à une date aussi rapprochée ferait certainement plaisir à des millions de personnes en Ukraine et dans le monde. Mais il vaudrait mieux ne pas trop compter sur une telle accélération de l’histoire.

Ancien officier du KGB et ancien directeur du FSB (Service fédéral de sécurité), Vladimir Poutine est un homme de pouvoir organisé et prudent. Et la façon dont ses services contrôlent l’information fait que l’immense majorité de la population russe a une vue complètement faussée des événements actuels ; il ne faut pas s’imaginer que les dizaines de milliers de personnes qui sont venues le 18 mars fêter le huitième anniversaire de l’annexion de la Crimée l’ont toutes fait par obligation. (...)

Quant aux oligarques, leur capacité d’intervention est peut-être plus limitée qu’on ne le croit ici. (...)

Il est vrai que les mesures prises à leur encontre par l’Union européenne et le Royaume-Uni et le fait que de grandes banques russes ont été coupées du réseau Swift alors que le réseau Mir russe est peu développé à l’étranger leur posent de gros problèmes. Plus globalement, pour l’ensemble de l’économie russe, le gel des avoirs en devises de la Banque centrale, qui interdit à celle-ci d’intervenir pour soutenir le cours du rouble, a été un rude coup que le stratège Poutine n’avait pas anticipé. Fin décembre 2021, il fallait un peu moins de 75 roubles pour obtenir un dollar ; le 21 mars, il en fallait 104. (...)

Entre le début de l’année et le 2 mars au soir, Gazprom avait perdu 83% de sa valeur, Lukoil et Rosneft plus de 92% !
Un jeu dangereux

« Nos sanctions ont dévasté l’économie russe », déclare Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Ce n’est pas faux, mais il faut raison garder. Ce n’est pas cela qui va inciter Vladimir Poutine à arrêter les combats demain ; les véritables effets ne se feront sentir qu’à long terme. L’économie russe peut encore résister. (...)

La crise actuelle a démarré avec un baril à un niveau élevé. 96,8 dollars le baril de Brent en moyenne en février, une pointe à 133 dollars début mars et une moyenne de 106 dollars sur vingt jours de cotation au 21 mars. Très clairement, si les pays qui désapprouvent l’invasion de l’Ukraine veulent peser sur les décisions russes, ils doivent agir, en tant que producteurs ou consommateurs, pour faire baisser le cours du baril et réduire au maximum leurs achats à la Russie. Ainsi que l’a expliqué Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’Institut international de relations internationales et stratégiques (IRIS), devant les journalistes de l’Ajef, pour Vladimir Poutine, la puissance d’un pays se mesure toujours à son territoire, sa population, son stock d’or !

Et, pourrait-on ajouter, la force de son armée. Il n’a pas vu que la véritable puissance repose aujourd’hui sur l’intégration dans les flux financiers et commerciaux mondiaux ainsi que dans les flux d’informations, à la différence de la Chine qui a compris cette évolution dès les années 1990. Ce dernier constat est intéressant, car il peut inciter à un relatif optimisme concernant l’attitude de Pékin à propos de l’Ukraine mais aussi concernant les risques d’une opération militaire sur Taïwan. Les dirigeants chinois n’ont nulle envie, du moins pour le moment, de couper les ponts commerciaux avec l’Occident dont leur pays a encore grand besoin. De surcroît, leur action s’inscrit dans le temps long : Taïwan peut attendre... (...)

La malédiction des matières premières

Poutine, lui, est encore dans une autre époque. Et, en dépit d’un haut niveau technique atteint dans certains domaines (l’armement, le spatial), la Russie est encore par beaucoup de points très proche des pays en développement victimes de la « malédiction des matières premières ». Ce concept bien connu nous rappelle que, pour un pays, le fait d’avoir un sous-sol très riche en hydrocarbures ou en métaux n’est pas forcément un atout, contrairement à ce qu’on pourrait croire.

Quand cette richesse n’excite pas la convoitise d’autres États et ne vous entraîne pas dans des guerres à répétition, elle est confisquée par une minorité (...)

La Russie est une parfaite illustration de cette théorie, avec ses oligarques assis sur les gisements de gaz et de pétrole et son niveau élevé de corruption.

Dans le dernier classement de Transparency International, où le premier pays est le moins corrompu, la Russie est arrivée 139e sur 180. (Malgré la sympathie que peut nous inspirer aujourd’hui l’Ukraine, force est de constater qu’elle n’est pas non plus très bien placée, au 123e rang...)

Ainsi, pour vraiment arrêter de contribuer au financement de l’effort de guerre de la Russie, il faudrait aller jusqu’à décréter un embargo sur le gaz russe, comme le souhaiterait Pascal Lamy, ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce et ex-commissaire européen, que l’on ne peut accuser de méconnaître les réalités économiques. (...)

on pourrait au moins commencer à réduire notre consommation de gaz et aussi de pétrole, en suivant les nouvelles recommandations formulées par l’Agence internationale de l’Énergie le vendredi 18 mars dans un programme en dix points. On voit mal, en France, à moins de trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, le président-candidat Emmanuel Macron imposer une réduction de 10 km/h de la vitesse maximale sur l’autoroute, mais rien n’empêche chaque citoyen, à titre individuel, de s’inspirer de ces recommandations. En plus, ce serait bon pour le portefeuille de chacun et bon pour le climat.

À plus long terme, il est certain que la Russie mettra du temps à se remettre des conséquences de ce conflit voulu et décidé par son président. Il n’est pas près de se sortir de la malédiction des matières premières : beaucoup de jeunes bien formés, qui auraient pu contribuer à orienter l’économie vers des secteurs innovants, semblent prêts à quitter le pays, quand ils ne l’ont pas déjà fait.