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orient XXI
La Tunisie en proie au mirage de l’« or noir »
Article mis en ligne le 14 août 2015
dernière modification le 11 août 2015

(...) la Tunisie, qui depuis des années ne couvre plus sa consommation énergétique, est devenue un pays importateur de pétrole.

En vogue dans les réseaux sociaux depuis plusieurs semaines, le slogan « Winou el petrol ? » (où est le pétrole ?) lancé parfois sur le ton de la plaisanterie recouvre un antagonisme naissant. Du centre et du sud du pays monte la revendication d’une meilleure redistribution des recettes tirées de l’exploitation de matières premières comme le pétrole à Douz et Kébili, le phosphate à Gafsa ou la cellulose fabriquée à partir de l’alfa à Kasserine. Au passage, une partie de l’opinion et de la classe politique interpelle le pouvoir sur l’absence de transparence du secteur énergétique.

C’est le 1er mai 2015 que la contestation a pris un tour plus acerbe. Edward Van Kersbergen, président exécutif de Mazarine Energy, une petite compagnie d’exploration hollandaise, annonce la découverte de réserves de pétrole et de gaz dans la concession de Zaafrane. Un puits — le Cat-1 à Chouchet el-Atrous — présente un débit de 4 300 barils/jour (bj). La nouvelle provoque immédiatement la mobilisation des habitants de Faouar, une bourgade proche de 17 000 âmes dénuée d’infrastructures de base en dehors d’un centre de surveillance des frontières et d’une modeste clinique. Pour la moindre démarche administrative, les villageois doivent se rendre à Kébili, à 70 km au nord. Début mai, nombre d’entre eux, essentiellement des jeunes, ont donc décidé de revendiquer collectivement l’obtention directe d’une partie des bénéfices du pétrole exploité dans la région. Un mouvement qui a tout de suite été réprimé par les forces de l’ordre. (...)

Mardi 2 juin, une manifestation organisée à Douz, une localité à six heures de route au sud-ouest de Tunis, a tourné elle aussi à la violence entre policiers et manifestants. Ces derniers —entre 1 000 et 1 500 — entendaient se rendre dans la zone des champs pétrolifères, plus au sud, en vue de prêter main-forte à la mobilisation locale lancée un mois auparavant à Faouar. Interdiction leur ayant été faite de s’y rendre, les protestataires se sont regroupés devant l’un des deux commissariats de la ville. Et les affrontements ont vite suivi. « Ce qui a mené au chaos, ce sont les provocations des forces de sécurité. Ils ont utilisé des gaz lacrymogènes contre les manifestants qui ont ensuite incendié le Mu’tamadya (la délégation) et le commissariat », raconte Selim, témoin des événements. (...)

Au lendemain des heurts à Douz, une rumeur, circulant notamment sur les réseaux sociaux, faisait état de la présence de partisans de l’Organisation de l’État islamique (OEI) dans la manifestation. « C’est faux. Le but était de décrédibiliser le mouvement et de faire taire les demandes qui étaient légitimes », s’insurge un habitant. Aucune preuve n’est venue étayer la rumeur et il n’existe aucun cliché des drapeaux noirs qui auraient été brandis à cette occasion. Pour autant, Mohamed Fadhel Ben Omrane, président du groupe parlementaire de Nidaa Tounes à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et député de Kébili, lui a donné du crédit dans une déclaration le 8 juin sur les ondes de la radio Mosaïque FM.

Mais les habitants réfutent ces accusations de terrorisme. (...)

Pour de nombreux habitants, les jeunes incriminés ne font que prendre le relais de leurs aînés. « La question des gains du pétrole a toujours été présente ici. Elle faisait partie des revendications des gens pendant la révolution, avant la chute de Ben Ali. Ce sont les mêmes revendications aujourd’hui. Peu importe le gouvernement, sous Ben Ali, sous Ennahda ou sous Essebsi. Et à chaque fois c’est un coup de pied qu’on inflige aux habitants », explique Sonia, coordinatrice dans une association de blogueurs à Kébili. (...)

La campagne citoyenne « Winou el petrol » a émergé fin mai sur les réseaux sociaux sans que l’on en connaisse précisément l’origine. Pour certains, le point de départ serait attribué à l’ancien président de la République, Moncef Marzouki. Durant sa campagne électorale pour l’élection présidentielle de fin 2014, il a souvent évoqué le thème d’une participation accrue des populations locales aux fruits de l’exploitation des richesses naturelles. Il faut dire que la rétention d’informations encourage l’affabulation et l’exagération : la production d’or noir ne couvre pas la consommation intérieure, laquelle diminue depuis une dizaine d’années — les réserves comme les redevances pétrolières. Nombre d’entreprises étrangères ayant obtenu des permis se retirent, comme l’italien ENI qui fut le découvreur des plus importants gisements dans les années 1960. (...)

La consommation de produits pétroliers a augmenté de 10 % l’an dernier alors que la production locale reculait de 10,7 %. Une répartition plus équitable de la fiscalité pétrolière en baisse entre le ministère des finances à Tunis et les collectivités locales qui abritent les hydrocarbures est sans aucun une revendication légitime mais il ne faut pas rêver : le développement des régions déshéritées passe par une politique nouvelle de l’Etat et par le travail de leurs populations et non par l’accaparement d’une rente pétrolière en fort recul.