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Rue 89/ Nouvel Observateur
La Tunisie reste terre d’espoir : la révolution aux urnes
Article mis en ligne le 21 octobre 2014
dernière modification le 14 octobre 2014

La Tunisie entame une copieuse séquence électorale, puisque trois scrutins vont se succéder : les législatives le 26 octobre, puis les deux tours de la présidentielle le 23 novembre et le 28 décembre. Ces élections consacrent la poursuite du processus politique démocratique.

Comparée aux autres pays où le printemps avait tenté de fleurir avant, au mieux, de tourner court, au pire, de virer au tragique, la Tunisie montre que la démocratie peut s’épanouir dans un pays arabe, un « antidote » à l’effet produit par Daesh, selon l’expression de François Burgat.

Mais pour dire que la « révolution » a mieux réussi en Tunisie qu’ailleurs, encore faut-il comparer ce qui est comparable. La Tunisie n’a pas l’équivalent de l’armée égyptienne, véritable ossature du pouvoir. A la différence de la Libye, l’Etat tunisien est une institution ancienne, même s’il irrigue difficilement tout le territoire, et sa continuité n’est pas mise en péril par un changement de pouvoir. La Tunisie n’est pas non plus le mikado confessionnel syrien, qu’un pouvoir cynique et brutal peut instrumentaliser pour se maintenir.

Le processus de transition tunisien a vacillé durant le deuxième semestre 2013, mais il existait justement des institutions pour gérer cette crise. Les scénarios d’échec ou de réussite de la transition démocratique sont donc différents des autres pays et doivent s’évaluer selon les spécificités tunisiennes. (...)

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La Tunisie reste terre d’espoir : la révolution aux urnes

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Thierry Brésillon
Journaliste
Publié le 13/10/2014 à 14h29

14 janvier 2014 (Thierry Bresillon)

La Tunisie entame une copieuse séquence électorale, puisque trois scrutins vont se succéder : les législatives le 26 octobre, puis les deux tours de la présidentielle le 23 novembre et le 28 décembre. Ces élections consacrent la poursuite du processus politique démocratique.
Soirée Tunisie le 15 octobre au ciné-club de Rue89

Le mercredi 15 octobre, à 20 heures, le ciné-club Rue89 organise une soirée spéciale Tunisie, à l »occasion des prochaines élections, en partenariat avec le collectif Mix Ta Race, au Cinéma Etoile-Lilas (place du Maquis du Vercors, Paris XXe). Au menu de la soirée Rue89 :

un documentaire en avant-première, « Démocratie année zéro », en présence de son réalisateur Christophe Cotteret ;
une rencontre animée par Pierre Haski, avec le cinéaste, le journaliste Thierry Brésillon et le spécialiste du monde arabe Jean-Pierre Filiu

Renseignements et réservations ici.

Comparée aux autres pays où le printemps avait tenté de fleurir avant, au mieux, de tourner court, au pire, de virer au tragique, la Tunisie montre que la démocratie peut s’épanouir dans un pays arabe, un « antidote » à l’effet produit par Daesh, selon l’expression de François Burgat.

Mais pour dire que la « révolution » a mieux réussi en Tunisie qu’ailleurs, encore faut-il comparer ce qui est comparable. La Tunisie n’a pas l’équivalent de l’armée égyptienne, véritable ossature du pouvoir. A la différence de la Libye, l’Etat tunisien est une institution ancienne, même s’il irrigue difficilement tout le territoire, et sa continuité n’est pas mise en péril par un changement de pouvoir. La Tunisie n’est pas non plus le mikado confessionnel syrien, qu’un pouvoir cynique et brutal peut instrumentaliser pour se maintenir.

Le processus de transition tunisien a vacillé durant le deuxième semestre 2013, mais il existait justement des institutions pour gérer cette crise. Les scénarios d’échec ou de réussite de la transition démocratique sont donc différents des autres pays et doivent s’évaluer selon les spécificités tunisiennes.

1 Les formes de la démocratie

Dans la lettre, la Constitution votée le 26 janvier dernier prémunit la Tunisie contre un retour d’une dictature autocratique. L’avenir dira comment les hommes et les formules politiques qui donneront vie à ce texte, détermineront la nature réelle du pouvoir.

En attendant, la bataille politique se déroule sur les plateaux télévisés et dans les urnes. (...)

2 Une révolution citoyenne

La parole libérée est un acquis évident, encore qu’il demeure quelques tabous. C’est beaucoup, et peu à la fois. Une vraie rupture s’est produite, en revanche, dans de la relation entre l’Etat et la société. (...)

3 Une diversification des élites ?

La compétition pour le pouvoir est ouverte, la société civile peut s’organiser, mais la Révolution a-t-elle fait émerger de nouvelles élites, comme la révolution française avait par exemple ouvert la voie à la bourgeoisie ?

L’échec le plus patent de ces trois années de transition (et dont la responsabilité est largement partagée), c’est que les cadres les plus compromis dans l’ancien régime n’ont pu être politiquement et juridiquement disqualifiés sur la base de responsabilités publiquement reconnues. Non seulement beaucoup sont parvenus à se maintenir dans les médias et l’administration, mais certains dirigeants du RCD reviennent en force dans la vie politique.

Mais la question dépasse l’échelle individuelle. Le pouvoir circule depuis l’indépendance entre des élites tunisoises et sahéliennes (originaire du littoral au sud de Hammamet), tantôt alliées, tantôt rivales, mais dont les intérêts ont convergé pour s’unir dans le mouvement destourien et fournir ses cadres à l’Etat. Elles détiennent les pouvoirs médiatiques et économiques, la légitimité intellectuelle, les connexions avec les cercles d’influence internationaux.

La « révolution » n’a pas bouleversé cette tendance de fond. Le pluralisme politique donne du pouvoir politique à de nouvelles catégories de population. Permettra-t-il l’émergence d’une nouvelle élite, issue d’autres régions, promue socialement par des mutations économiques, représentant des courants idéologiques divers ? (...)

4 Economie, le temps des ajustements stucturels

Les fractures sociales et les inégalités entre la côte et les régions intérieures sont considérées comme la raison première du soulèvement populaire de l’hiver 2010. Le chômage massif des jeunes, les salaires de misère dans l’industrie maintiennent une grande partie de la population sous le seuil de pauvreté. De ce point de vue, les progrès sont nuls, hormis une vague d’emplois aidés, plus ou moins fictifs, créés au printemps 2011, et quelques efforts pour attirer des investisseurs dans les régions intérieures. Pire, l’augmentation des prix touche de plein fouet les plus modestes.

L’économie doit s’affranchir de contraintes structurelles pour changer : un secteur public endetté et un secteur privé dépendant de ses relations commerciales extérieures, surtout avec l’Europe. Or la place de la Tunisie dans la division internationale du travail est plutôt assez basse dans l’échelle de spécialisation, où la concurrence encourage le dumping social. (...)

Le paradoxe est que la « révolution » a toutes les chances de se traduire par une accélération des réformes structurelles pour désengager l’Etat de l’économie (notamment la refonte de la caisse de compensation qui subventionne les prix des produits de base) dont les plus vulnérables risquent de faire les frais. (...)

5 Corruption et prédation

L’autre problème de fond de l’économie tunisienne, c’était la corruption et le parasitage par les clans liés à « la Famille » (les Trabelsi). Ces derniers ont été évincés du jeu, mais sans que les pratiques soient assainies pour autant. Au contraire, les intermédiaires dans cette économie de prédation essaient désormais de prendre la place des caïds d’hier. (...)

6 Intouchable Ministère de l’Intérieur

Le contrat social qui liait la population au régime, comme l’avait analysé Béatrice Hibou dans La force de l’obéissance, c’était, pour schématiser : liberté contre sécurité. Une formule qui offrait à l’institution sécuritaire une rente de situation. (...)

Ben Ali parti, le pouvoir du Ministère a subsisté et les actions armées de groupes jihadistes ont rendu son rang à l’appareil sécuritaire. Et réactivé les anciennes habitudes.

Dans les quartiers populaires, les jeunes dénoncent la poursuite des mêmes pratiques de harcèlement et de racket. Les pratiques humiliantes, les intimidations restent monnaie courante et des cas de mauvais traitements sont encore régulièrement signalés.

S’il change, ces transformations sont discrètes et gérées dans l’intimité d’une institution à la fois puissante et susceptible. Il est défendu désormais par des syndicats qui n’hésitent pas à jouer les groupes de pression sur les institutions. Et, dans une certaine mesure, par une partie de l’opinion pour qui la lutte contre le terrorisme justifie les entorses à l’Etat de Droit et aux droits de l’Homme. (...)

Pour conclure

La Tunisie reste une terre d’espoir, un élément stabilisant dans une région tourmentée. Mais la transformation des structures de domination et d’injustice est encore au stade des potentialités. Il faudra beaucoup de volonté politique, et beaucoup d’engagement citoyen pour les réaliser et pour que l’on puisse dire que la Tunisie a réussi sa révolution.