
Depuis le retrait des forces policières le 20 avril 2013, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes s’est métamorphosée en un vaste lieu d’expérimentation agricole et sociale. L’agriculture y est brandie comme « une arme de guerre » pour occuper le terrain et proposer un avenir libéré de la propriété individuelle.
Dans les bocages humides de Notre-Dame-des-Landes, la lutte conte la construction de l’aéroport s’est subtilement enracinée. Les militants ont braqué le droit d’usage des terres. Cultiver pour mieux résister, cultiver pour se réapproprier les lieux.
Aux 100 Noms, on s’adonne à la permaculture. A Saint-Jean-du-Tertre, le moulin tourne et les ruches bourdonnent dans l’illégalité. Aux Fosses noires, les oignons clandestins ont germé et les tomates grimpent sans permis. Quant à la ferme de Bellevue, le Collectif des trayeureuses y tire le lait et fabrique le fromage.
Partout on tâtonne, on apprend à petits pas, avec l’appui des paysans historiques, ceux qui habitaient la ZAD avant la ZAD : « Au début, on se regardait en chiens de faïence mais progressivement, la confiance s’est glissée entre eux et nous. Ils nous ont même offert cinq vaches ! » témoigne un éleveur improvisé, au look encore citadin. (...)
L’agriculture, passerelle fertile entre néo et paysans du cru
Cette alliance, elle s’est imposée au fil d’événements devenus emblématiques. Le 7 mai 2011, un millier de manifestants bêchent joyeusement un hectare et demi de ronces, sous le slogan « Aérocrate, bouffe ta cravate ! ». Un groupe de maraîchers s’installe alors sur cette parcelle, baptisée « le Sabot ». Ils ne sont pas issus du milieu agricole, mais vont s’emparer des codes de ce monde par passion. Entre eux, les militants sortis des villes, et les paysans, se joue à présent un langage commun, et pas un simple partage de l’espace.
La violence des opérations policières en novembre 2012, va également souder les opposants. C’est ensemble qu’ils vont défendre la ferme des Rosiers avant sa démolition. C’est pour protéger les squatteurs que les agriculteurs vont encercler avec leurs tracteurs le lieu-dit de la Châtaigne. Une solidarité se crée, une complicité se noue en réaction à la présence des forces de l’ordre. « C’était des moments intenses », relate un habitant de la ZAD, « on a appris à se côtoyer aussi bien autour d’un repas que derrière une barricade. » (...)
« Je ne suis pas paysan, je suis paysan de la ZAD »
Mais si le geste agricole permet d’unir les uns aux autres, « Sème ta ZAD » n’en demeure pas moins révolutionnaire. Plus subversive qu’une simple réclamation des terres, la résistance s’empare d’une large volonté d’autonomie, où l’agriculture se fait offensive. Elle se positionne non plus comme une fin en soi, mais comme un outil.
Un outil pour expérimenter tous azimuts : entre la culture de céréales sur butte, la traction animale et la responsabilité partagée d’une ferme, hors du cadre de l’installation professionnelle affranchie des normes légales, les limites ne sont que celles que l’on se fixe ensemble. Un outil pour distribuer autrement, à prix libre chaque vendredi au « non marché » les produits récoltés à la ZAD, avec une caisse de soutien aux Fosses noires les jours de dépôt de pain.
On approvisionne gratuitement les luttes connexes, parmi les quinze tonnes de pommes de terre récoltées, un tiers est envoyé aux migrants de Calais. Quant aux oignons, ils sont amenés au Testet. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes se mue en grenier de la révolte : « On n’est pas là pour vendre mais pour contribuer à nourrir les résistances multiples », lit-on sur un tract écrit par le collectif des trayeureuses. (...)
800 hectares de champs des possibles
Après plusieurs années d’occupation, les habitants de la ZAD osent croire à l’abandon prochain du projet d’aéroport. Mais ils savent que son enterrement définitif ne viendra pas seulement d’en haut et de l’aveu des autorités politiques. Il faut, sur le terrain, proposer un autre avenir pour cette vaste zone de 1 650 hectares. L’objectif ici n’est pas tant l’échec du Grand Projet Inutile que le maintien de zones d’autonomie. L’exercice d’un art de vivre éloigné des logiques marchandes et des institutions.
Il convient d’abord de protéger les terres des appétits stratégiques qui voient dans la brèche, une opportunité pour agrandir les exploitations agricoles existantes. Un membre des Copain confirme : « On ne laissera pas de gros exploitants arracher les haies, refaire du maïs avec du gros matériel et des pesticides ».
Paradoxalement, le projet d’aéroport a, depuis les années 1960, bloqué le remembrement des parcelles. Leur petite taille - 3 hectares en moyenne au lieu de 10 hectares dans le département - demeure un atout pour l’agriculture paysanne (...)
L’idée de mettre en commun les terres fait son chemin. Si l’on retire les 400 hectares toujours occupés par les agriculteurs expropriés et les 400 autres boisés, c’est près de 800 hectares dont l’usage reste à définir. Cet espace constitue, aux dires des habitants de la ZAD, une potentielle réserve foncière, une version singulière du champ des possibles.
Justement, en ce mois de novembre, des représentants du Larzac se sont déplacés à Notre-Dame-des-Landes pour témoigner autant de leur soutien que de leur expérience. Lorsque le projet d’extension du camp militaire a finalement été annulé en 1981, les paysans ont obtenu la gestion du foncier public grâce à la signature d’un bail emphytéotique.
L’an dernier, Stéphane Le Foll s’est rendu sur place pour renouveler ce bail, prorogé jusqu’à 2083. L’occasion de lancer des ponts entre la ZAD bretonne et le plateau de l’Aveyron, auxquels le ministre de l’Agriculture a répondu : « Je conçois difficilement que l’on puisse exporter le modèle du Larzac ». « A nous de lui prouver le contraire ! », clament certains zadistes. (...)
Mouvement transversal, semoir des graines de dissidence, la ZAD vise bien à « contaminer d’autres espaces » et ne compte pas forcément se replier dans un compromis juridique. « Le jour où traire les vaches ne sera plus révolutionnaire, j’arrêterai », poursuit Camille.
Ne point s’accomoder des acquis, s’auto-organiser sur un territoire ingouvernable, telles sont les valeurs de ces résistants qui s’arrogent l’héritage des bêcheux anglais du XVIIe siècle
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