
A l’heure où le « coût du travail » devrait être réduit, la santé des salariés négligée et les « contraintes » écologiques combattues, Pocheco, une PME industrielle du Nord, prend le chemin inverse : celui d’une économie qui place l’écologie, l’humain et les investissements avant les profits et les dividendes. L’usine de production d’enveloppes est devenue un modèle de transition. Les produits chimiques nocifs ont disparu des ateliers, la hiérarchie s’est allégée, les bâtiments on fait peau neuve. Résultat : l’entreprise se porte bien et diversifie ses activités, pour faire face à l’avenir et préserver ses emplois. Ici, pas de managers aux techniques oppressives, pas de délocalisation ni de course à la rentabilité sans fin. Reportage.
Quand, à la fin des années 1990, l’actuel patron de Pocheco, Emmanuel Druon, en a pris les rênes, c’est par les encres que la transition de cette entreprise spécialisée dans la production d’enveloppes a commencé. « En 1997, l’entreprise avait des difficultés financières, écologiques et sociales. Les travailleurs étaient exposés à des produits nocifs, des fûts de produits chimiques étaient même enterrés autour de l’usine. L’intégration au village était mauvaise, comme l’ambiance à l’intérieur de l’entreprise. Les liens entre les services étaient peu nombreux », décrit Kévin Franco.
L’écologie, à long terme, « c’est moins cher »
Kévin Franco est arrivé 2010 dans l’entreprise, comme stagiaire, pour mener une étude d’impact des produits utilisés sur l’environnement. Puis il travaille au service de la logistique, à la maintenance, et à la production. « Quand quelqu’un arrive dans l’entreprise, quel que soit son métier, il passe en général par la production », précise le salarié. Ensuite, le jeune homme a pris en main l’une des nouvelles activités développées par l’entreprise : un bureau de conseil en transformation environnementale. « Nous essayons de partager ce qu’on a fait, notre méthode de transformation, de réflexion. » (...)
Cette entreprise de 130 employés, logée sur le site d’une ancienne usine textile au sein de bâtiments du 19e siècle, est devenue un modèle de transition industrielle soutenable. Tout en créant une trentaine d’emplois depuis 2008 ! Pocheco a même fait l’objet d’une séquence du documentaire Demain, qui a dépassé le million de spectateurs. (...)
« Quand Emmanuel Druon est arrivé, il a constitué une équipe autour de lui, qui a décidé qu’il fallait prendre systématiquement en compte l’environnement et le bien-être des salariés dans les développements futurs de l’entreprise. Qu’à chaque étape d’investissement, ces critères devraient être respectés », raconte Kévin Franco.
« Nous ne voulons plus de plastique à l’horizon 2020 »
Conséquence directe de ce choix, alors radical : Pocheco transforme ses filières de production. « Nous avons associé nos fournisseurs, pour adopter des produits plus écologiques, puis nos clients, pour leur faire accepter cette transformation. » Le pari environnemental marche aussi auprès des clients.
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Même le système de conditionnement des enveloppes a changé. L’entreprise a abandonné les cartons à charger et décharger, qui étaient ensuite jetés, pour adopter un dispositif de cylindres sur lesquels les enveloppes sont enroulées. Les clients déroulent ces cylindres et les renvoient à Pocheco. L’entreprise livre ainsi ses produits sans générer de déchets. « Cela rend aussi le déchargement moins difficile physiquement, et ce système apporte 15% à 20% de gains de productivité », précise Kévin Franco.
Toitures végétalisée, panneaux solaires et pompes à chaleur
Une fois les premières économies engrangées grâce aux nouvelles procédures industrielles, Pocheco s’est attelé à ses bâtiments.
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Pour assurer les emplois et continuer à se développer, Pocheco mise sur la diversification de ses activités. Les visites du site en font partie. Lycéens, ou salariés d’une grande entreprise énergétique : l’entreprise accueille deux à trois groupes par semaine. (...)
« La stratégie ici, c’est avant tout la pérennité de l’emploi. Il faut donc réfléchir au maintien de l’activité si le marché de l’enveloppe disparaît. Le bureau de conseil est une voie. Mais c’est sûr que ce ne sera pas pour tout le monde, reconnait Kévin Franco. Nous essaierons peut-être de créer une équipe de travaux intégrée avec le bureau. » « Il y a beaucoup de personnes qui travaillent ici qui n’ont pas fait d’études, qui ont appris les métiers sur le tas », souligne Aline Assimacopoulos. Pocheco souhaite aussi diversifier ses activités industrielles. L’entreprise propose un service de massification du courrier à ses clients : elle récupère leurs courriers, les regroupe, les met sous pli, les affranchit et les livre en gros à la poste, ce qui permet aux clients de bénéficier d’un tarif du timbre plus avantageux. Quinze personnes travaillent déjà à cette activité. La PME a investi pour cela dans de nouvelles machines de tri et d’affranchissement. (...)
« Nous avons des fonds propres solides, donc un accès facile aux prêts bancaires, explique Aline Assimacopoulos. Grâce à cela, nous pouvons investir à moyen et long terme sur de tels projets. Nous nous donnons du temps. Que nous pouvons prendre parce qu’on ne nous demande pas une rentabilité exponentielle. » « Chez nous, l’argent est un moyen d’entreprendre, pas de faire des profits », insiste la commerciale. (...)
Diversification... dans la culture des pommes et des pleurotes
Plusieurs innovations sont des plus inattendues. La société a acheté un terrain agricole de 2 000 m2 pour y développer une activité de permaculture, lancée il y a un an. Deux personnes ont été embauchées, avec comme objectifs de produire et de devenir un centre de formation. « En parallèle, nous avons le projet d’installer une cantine bon marché sur le site, où l’on cuisinerait les produits de nos propres terrains », rapporte Antoine Bocquet, qui gère le projet de permaculture. (...)
Comme dans le reste de l’entreprise, la hiérarchie est réduite au minimum : « Je travaille en autonomie. Je suis comme mon propre patron, c’est comme si je m’étais installé à mon compte, mais avec un salaire à la fin du mois ! »
Un verger conservatoire d’espèces locales a déjà produit ses premières pommes, « excellentes » selon Kévin Franco. Et à l’intérieur de la cuve de réserve d’eau, Antoine Bocquet a commencé il y a quelques mois à faire pousser des pleurotes. Évidemment, comme pour les encres des enveloppes, sans aucun produit chimique.