
L’histoire ne se répète jamais vraiment. Mais cela n’interdit pas de réfléchir aux analogies. Il y a 90 ans, Élise et Célestin Freinet, couple de pédagogues et militants, affrontaient tout autant leur hiérarchie que les élites locales opposées à leurs pratiques. Partisans d’une école tournée vers l’aide aux enfants les plus pauvres, ils pointaient notamment l’état lamentable des écoles primaires.
La question des conditions matérielles d’enseignement est profondément politique. Élise et Célestin Freinet l’avaient bien compris car leurs premiers déboires avec la hiérarchie ont eu comme origine la protestation de l’une comme de l’autre contre l’état sanitaire pitoyable de leur classe.
En mai 1930, Célestin Freinet enseigne à Saint-Paul (de Vence) depuis deux ans. Il y pratique la technique de l’imprimerie pour faire entrer ses élèves, majoritairement issus des milieux populaires, dans les plaisirs de la lecture et de l’écriture. Mais le village est clivé sur ses méthodes. Une partie des notables, sous la houlette du maire Joseph Demargne, proche des milieux de l’Action française, lui reprochent ses engagements communistes et le soupçonnent de faire du prosélytisme auprès de ses élèves.
En tant que maire, Joseph Demargne est également responsable de l’entretien de l’école : le ménage, le chauffage et tout ce qui a trait à l’équipement. Négligent, peu prompt à aider les Freinet dont il n’espère que le départ, il rechigne à procéder aux travaux de réhabilitation.
Dans un courrier à l’Inspection académique, Célestin Freinet décrit l’état matériel d’une classe inadaptée à la fréquentation de plus de quarante élèves : mal aérée, poussiéreuse, puante… Il y détaille par le menu des conditions qui rendent impossible d’enseigner comme d’apprendre :
« L’école de Saint-Paul est dans un état matériel scandaleux. Je crois nécessaire de justifier ce jugement en faisant une description sommaire du local et de ses dépendances » écrit-il, avant de détailler plus loin (...)
Un véritable bras de fer commence avec le maire. Invectives, procès d’intention … les courriers adressés à la municipalité ou à l’Inspection académique pour obtenir que le maire accomplisse son devoir sont virulents. Freinet remonte même jusqu’au ministre de l’Instruction publique pour sensibiliser à cette cause. C’est qu’aux yeux du couple Freinet, la question matérielle est indissociable de leurs engagements pédagogiques. C’est aussi parce que les enfants pauvres n’ont pas le confort requis pour travailler dans des conditions dignes qu’ils peinent à l’école. Et le désintérêt des autorités prouve leur mépris de classe.
Le conflit dégénère rapidement parce que d’autres raisons politiques s’y greffent ; mais l’on ne peut qu’être troublé par les résonnances contemporaines des constats et réclamations du couple Freinet. Rappelons qu’aujourd’hui encore, certaines écoles, collèges ou lycées subissent la présence de rongeurs, l’absence de toute isolation, et attendent que les collectivités territoriales daignent s’intéresser à leur sort