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« La condition animale ne s’améliore pas : elle s’aggrave ! »
#animaux
Article mis en ligne le 13 novembre 2022
dernière modification le 12 novembre 2022

Florence Burgat, philosophe, directeur de recherches à l’INRA, publie « Les animaux ont-ils des droits ? » (La documentation française, 2022). Dans cet ouvrage elle revient sur le décalage abyssal qui existe entre le sort réel fait aux animaux, l’indiscutable constat de leur sensibilité et l’incohérence de leur protection par le droit. Elle livre à 30millionsdamis.fr un entretien sans détours.

(...) Ce qu’il m’a semblé important de montrer dans ce livre, c’est que contrairement à une idée qui circule, la condition animale ne s’améliore pas : elle s’aggrave. Cela me paraissait d’autant plus essentiel qu’il y a dans le débat public une inflation de certains termes, purement rhétoriques, dont l’usage est évidemment destiné à masquer la réalité de la condition animale : « bien-être animal », ou « éthique », termes accolés à toutes les pratiques douloureuses et létales. Sans oublier les slogans publicitaires qui en viennent à donner aux gens l’impression que les animaux seraient presque partie prenante de leur exploitation. (...)

L’humanité n’a jamais autant tué d’animaux qu’aujourd’hui.

Pour n’évoquer qu’un exemple, le cochon en carton qui, tout sourire, fait la liste des produits de la charcuterie. Tout cela conduit à penser qu’en tous cas les choses s’améliorent. Or, l’humanité n’a jamais autant tué d’animaux qu’aujourd’hui, et la condition animale en général se dégrade au fil des siècles. Certes, la législation évolue, certes, certaines choses ont disparu. Mais avec le développement des sciences et techniques, le champ de l’exploitation des animaux s’est considérablement accru. J’ai jugé qu’il était important, dans cet ouvrage de commencer par cet état de fait.

Vous démontrez dans cette publication qu’en dépit du nombre d’animaux exploités, qui est vertigineux, et le constat évident de la sensibilité animale, le droit ne parvient pas à les protéger efficacement. Comment expliquez-vous cela ?

Parce que le législateur ne le veut pas. En effet le droit, c’est-à-dire le législateur, maintient en l’état le cadre fondamental de l’exploitation animale. Les animaux demeurent soumis au régime des choses appropriables et destructibles : des biens. Toutes les législations protectrices vont par conséquent s’insérer dans ce cadre-là. Or il rend possible toutes les agressions imaginables, qui vont de la captivité et des mutilations à la mise à mort, alors même qu’elles ne sont pas nécessaires (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas liées à la survie, qui rend l’agression légitime, y compris dans le cadre des droits humains). Le contexte législatif global, c’est que presque toutes les cruautés sont permises, notamment pour de la pure distraction : corridas, cirques, chasse de loisir (c’est-à-dire quasiment toute la chasse actuellement pratiquée), animaux maintenus captifs pour qu’on puisse les voir, comme si c’était là un droit de l’homme qui se payait au prix d’une vie brisée, car un animal captif est un animal brisé … tout cela est pleinement admis par le cadre législatif. Il s’ensuit que la protection des animaux par le droit est forcément paradoxale, voire absurde, puisqu’elle doit s’insérer dans un contexte plus large qui va à son encontre.

Donc d’une certaine façon, le droit est absurde et paradoxal en la matière ? (...)

Dans votre conclusion, vous semblez attribuer une part de responsabilité à la « normativité propre du droit » quant au sort des animaux : que voulez-vous dire par là ?

Je veux dire par là que ce que le droit rend licite revêt, qu’on le veuille ou non, une sorte de légitimité morale à nos yeux : « puisque telle chose est licite, c’est qu’elle n’est pas mauvaise en soi. » C’est ainsi que la normativité juridique nous empêche d’exercer notre jugement, nous empêche de penser par nous-mêmes. (...)

D’où une forme d’ambiguïté ?

La normativité du droit a des effets dans le réel : ce que le législateur édicte, s’applique. Alors qu’un philosophe qui élabore une thèse pour dire que les animaux sont des choses, cela participe d’une discussion, d’une controverse, etc. mais n’a pas d’effets directs dans le réel. Ce grand cadre n’étant pas remis en question, cela permet au législateur de dire que les animaux sont vivants et sensibles, tout en leur appliquant par défaut le régime des choses. C’est très perturbant (...)

S’agissant des animaux, ce sont toujours les intérêts des industries qui l’emportent. (...)