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La construction médiatique des « djihadistes »
Article mis en ligne le 30 octobre 2014

Un nouveau terme est entré dans le vocabulaire du français moyen ces derniers mois, celui de « djihadiste ». Quotidiennement, les grands médias abordent le sujet et diffusent des grilles explicatives qui forgent les opinions publiques, orientent les réactions, suscitent des prises de positions. Des « experts » et des « spécialistes » aux noms savants sont appelés à la rescousse pour offrir une caution scientifique aux affirmations médiatiques.

Au-delà de l’apparente diversité des points de vue se cache une unicité d’analyse. En dépit du vernis d’objectivité des articles et des reportages, quatre récurrences idéologiques sont repérables : l’essentialisation de l’islam, l’injonction à la justification adressée à tous les musulmans, la négation des causes internes aux pays occidentaux et la justification de la guerre. Ces quatre discours médiatiques diffusés sur fond de sensationnalisme ne sont pas anodins. Ils ont une fonction sociale et politique. Ils contribuent à produire une réalité sociale et politique lourde de conséquences. (...)

La fabrique de la peur fonctionne à plein régime avec ses deux conséquences logiques : le renoncement à l’explication rationnelle au profit de réactions émotionnelles d’une part et la production d’une demande de sécurité au prix même d’une atteinte aux libertés fondamentales d’autre part. Au-delà des cibles actuelles, c’est la logique sécuritaire qui s’installe encore plus profondément dans notre société. (...)

Une des conséquences du processus d’essentialisation est l’utilisation comme synonymes des termes « Islam » et « musulman ». Tous les comportements des musulmans peuvent de cette manière s’expliquer par cet Islam essentialisé. Le boxeur Mohammed Ali a répondu de manière lapidaire à ce type de raisonnement dans un échange célèbre avec un journaliste à propos des attentats du 11 septembre : « Comment vous sentez-vous à l’idée que vous partagez avec les suspects arrêtés par le FBI la même foi ? - Et vous, rétorqua-t-il, comment vous sentez-vous à l’idée qu’Hitler partageait la vôtre ? » [8] (...)

L’essentialisation, l’injonction et la négation conduisent enfin à éluder tous les débats sur les réels buts de guerres. Les enjeux pétro-gaziers et géostratégiques disparaissent entièrement du débat pour ne laisser place qu’à l’urgence d’un consensus « anti-barbare ». Il faut le dire, l’opération est pour l’instant une réussite : les interventions en Syrie, en Côte d’Ivoire et en Centre-Afrique ne suscitent pour l’instant pas de grandes réactions. En mettant l’ensemble des acteurs sociaux susceptibles de s’opposer à la guerre dans un climat de crainte et dans des explications essentialistes, c’est le mouvement anti-impérialiste et anti-guerre qui est détruit. Ce climat et ces explications permettent de ne pas interroger les tactiques et stratégies concrètes : soutien à des groupes que l’on prétend combattre ensuite, présentation de monarchies obscurantistes (Arabie Saoudite, Qatar, etc.) comme des alliés, etc.

La construction médiatique des djihadistes s’inscrit ainsi dans une stratégie guerrière. Peu importe que cela se réalise de manière consciente ou non par les acteurs des médias : le résultat est le même.