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le vent se lève
La cotisation, puissant mécanisme d’émancipation
Article mis en ligne le 10 octobre 2020
dernière modification le 9 octobre 2020

Les mêmes arguments continuent d’agiter le paysage politique. Une partie de la gauche proteste contre les cadeaux fiscaux et la réduction des services publics. Une partie de la droite explique qu’il en va de l’attractivité et de la compétitivité de notre économie. S’il n’aura échappé à personne que depuis trente ans les discours se répètent des deux côtés, les observateurs attentifs auront noté que la distinction entre impôt et cotisation sociale n’est jamais faite : tous deux sont mis dans le même sac des « charges ». Cette absence de distinction doit nous interpeller. L’enjeu de cette dichotomie est pourtant crucial : la cotisation est, contrairement à l’impôt, un mécanisme intrinsèquement émancipateur.

Pour beaucoup de celles et ceux qui aspirent à un monde plus juste, la redistribution que permet l’impôt est une arme qu’il faut revendiquer et défendre. Certes, l’impôt présente des avantages, mais il présente des défauts qui ne peuvent pas demeurer impensés, alors même que concevoir des solutions alternatives est un enjeu central dans tout projet émancipateur.

D’abord, si l’impôt permet de redistribuer le niveau de valeur économique qui ne lui échappe pas à travers l’évasion, la fraude ou les niches fiscales, il légitime du même coup le profit puisque c’est lui, en grande partie, qui le finance. Ainsi, « l’impôt prend acte de l’existence du capital et le taxe » : il n’émancipe jamais véritablement les bénéficiaires de la redistribution fiscale car il tend structurellement à légitimer la première répartition des ressources, celle-là même à l’origine du besoin de redistribution en raison des profondes inégalités créées.

L’enjeu n’est pas d’abandonner totalement l’impôt mais de l’améliorer en le rendant plus progressif ou en supprimant les niches néfastes écologiquement et socialement. Cependant, l’impôt ne peut pas tout (...)

Il existe justement un mécanisme bien plus émancipateur qui socialise une part de la valeur économique pour qu’elle soit gérée par les travailleurs qui l’ont produite : la cotisation sociale.

La cotisation opère un renversement radical par rapport à l’impôt. Là où ce dernier intervient après la première répartition des ressources, la cotisation agit en amont : elle fait partie intégrante de la distribution primaire. De ce fait, il n’y a pas, dans la cotisation, au contraire de l’impôt, de prélèvement qui puisse être objectivement présenté comme relevant de la confiscation : la socialisation du salaire a lieu lors de la première distribution. Elle correspond à une partie de la valeur créée par les travailleurs, est gérée par ceux-ci, et échappe aux logiques capitalistes d’allocation de ressources. (...)

C’est d’ailleurs cette idée qui fonde le régime général de la Sécurité Sociale mis en place à partir de 1946 (...)

non seulement les cotisations rendent possible un accès universel à la protection sociale, mais leur gestion par les travailleurs élus a pour conséquence inestimable de responsabiliser ces derniers et de leur octroyer le pouvoir – légitime – de gérer une partie de la valeur produite (environ un tiers du PIB) notamment en matière d’investissement et de salaires socialisés à verser.
Changer la définition du travail

Comme l’énonce l’économiste et sociologue Bernard Friot, « l’impôt place la répartition de la richesse au cœur du débat, la cotisation y place sa production ». C’est bien cette distinction qui permet de comprendre pourquoi le régime général de Sécurité Sociale est si précieux : il nous permet de gérer en partie la production de richesse. Cette socialisation par les cotisations ouvre la voie à un mode de production libéré de la logiques capitaliste. (...)

Trois ministres communistes, Maurice Thorez, Marcel Paul et Ambroise Croizat, épaulés par la CGT, ont mis ce système en place dès 1946. Ici, le salaire a d’émancipateur le fait qu’il reconnaît une qualification à des personnes indépendamment de l’occupation ou non d’un poste de travail. (...)

La conquête reste cependant partielle car les propriétaires lucratifs conservent le pouvoir sur le poste. Dans le système public, les fonctionnaires d’Etat sont titulaires de leur grade – donc de leur qualification – et le salaire leur est attribué peu importe le poste de travail qu’ils occupent : le support de leur qualification (dont dépend leur salaire) n’est pas leur poste, mais leur personne même. (...)

Les pensions versées aux retraités, aux chômeurs ou aux parents imitent ce système. Le fondement de l’allocation familiale n’est pas la reconnaissance du coût d’un enfant, mais bien la reconnaissance que l’élever implique une qualification, rattachée aux parents indépendamment d’un poste de travail. Il en va de même pour les retraites. (...)

on pourrait réactualiser ce mécanisme et l’étendre à d’autres secteurs. Partant par exemple du principe qu’une alimentation saine est un besoin vital, lequel serait rencontré en transformant l’agriculture industrielle en agriculture paysanne, il serait dès lors envisageable de bâtir une sécurité sociale de l’alimentation.
Marginaliser la propriété lucrative de l’outil de travail

Par ailleurs, la cotisation se révèle encore plus émancipatrice quand elle permet aux caisses qu’elle alimente de financer l’investissement nécessaire à l’activité économique par subvention. Autrement dit, la subvention boycotte les crédits bancaires et les marchés de capitaux. (...)

Un des meilleurs exemples pour illustrer ce concept est la vague d’investissements subventionnés par les Caisses d’Assurance Maladie à partir des années 1950 en vue de construire des hôpitaux et CHU en France : les caisses de l’Assurance Maladie ont subventionné l’investissement et personne ne s’est endetté. Ce mécanisme permet donc de marginaliser la propriété lucrative de l’outil de travail : ainsi financé, l’hôpital n’appartient à aucun propriétaire cherchant à s’accaparer une part de la valeur produite par le travail du personnel hospitalier. Cette copropriété d’usage gagnerait à être étendue à bien d’autres secteurs.

Le sabotage du régime général de la Sécurité Sociale

Certes, on peut discuter des modalités de versement des cotisations. Mais cela ne leur ôterait en rien leur caractère révolutionnaire qui permet non seulement d’agir en amont de la première distribution et de ne pas légitimer le profit, mais d’ouvrir en plus la voie à des perspectives bien plus radicales car portant en elles les germes d’institutions macroéconomiques alternatives au capitalisme.

Rappelons en effet que lorsque les caisses sont gérées par les salariés, elles ne dépendent pas de l’Etat. Mais la bourgeoisie capitaliste qui colonise la sphère publique ne cesse d’œuvrer pour une reprise en main par l’Etat d’un tel creuset producteur de richesse. Battu en brèche, le régime général de la Sécurité Sociale est de plus en plus financé par l’impôt et de moins en moins par la cotisation [2]. Il s’agit là d’un enjeu de classe de premier ordre : dès lors que c’est l’impôt qui alimente les caisses de la Sécurité Sociale, leur gestion devient affaire de l’Etat, non plus de celles et ceux qui en produisent la valeur.

Confondre les impôts et les cotisations est un formidable cadeau à la bourgeoisie capitaliste, qui conserve ainsi son hégémonie sur le travail et l’investissement (...)

Réarmer les travailleurs, ne plus les définir négativement comme de simples vaincus, leur redonner le pouvoir de décider de l’usage d’une part des richesses produites, ouvrir la voie à des modes de production non capitalistes, changer la définition du travail ou encore solvabiliser – grâce à la cotisation – un type de demande conventionnée : autant d’horizons enthousiastes que la cotisation nous permet d’atteindre. L’annulation de cotisations sociales en sortie de Covid doit nous faire réagir : il s’agit de saboter encore davantage l’hôpital public, ni plus ni moins. Mais pour toutes les raisons évoquées ici, il est nécessaire d’aller au-delà de l’opposition aux allègements de charges : il est temps de rendre aux salariés l’important pouvoir qu’ils ont conquis, notamment grâce à des combats syndicaux et à l’expérience ministérielle d’Ambroise Croizat.