
Compenser les activités polluantes des multinationales en finançant la préservation des forêts et des coopératives locales de commerce équitable. Telle est la nouvelle idée que Tristan Lecomte, fondateur de la marque Alter Eco, met en œuvre au Pérou en vendant des crédits carbone à des entreprises comme GDF Suez, Vinci ou Nestlé.
. Un marché carbone équitable, juste et solidaire... vraiment ? Un récent rapport réalisé par une association écologiste française critique vivement ce projet. Dans un contexte où la pertinence de la compensation carbone, qui offre aux multinationales la possibilité de se racheter à moindre coût une image verte, fait débat. (...)
En proposant ses produits dans les linéaires des supermarchés, ce diplômé d’HEC a irrité les plus radicaux du secteur, pour qui la grande distribution est incompatible avec la philosophie du commerce équitable [1]. Lui assume pleinement son alliance avec les grandes enseignes, « préférant le discours résolument positif à la condamnation radicale des pratiques non vertueuses ». Nommé « Entrepreneur social de l’année » en 2013 par le Forum économique mondial de Davos, Tristan Lecomte a désormais passé la main chez Alter Eco. Il se consacre à une autre idée verte : la reforestation.
En 2008, il lance l’entreprise Pur Projet qui compte aujourd’hui une trentaine de projets de reboisement ou de conservation de la forêt, dans 25 pays, y compris en Europe. L’idée ? « Proposer aux producteurs de planter des arbres pour redonner fertilité à leur terre, retrouver la biodiversité perdue et participer à la lutte contre le changement climatique qui les affecte durement, grâce à la création de puits de carbone » [2]. 3,4 millions d’arbres auraient déjà été plantés. Ces opérations sont explicitement financées par des grandes entreprises comme Vittel (Nestlé), Vinci ou GDF Suez. Une manière pour ces multinationales de compenser l’impact environnemental de leurs activités. Or, l’un des projets menés par Pur Projet au Pérou est dans le viseur de l’association écologiste les Amis de la Terre. Elle a nominé l’entreprise de Tristan Lecomte au prix Pinocchio 2014, dans la catégorie « plus vert que vert ». Un « prix » décerné à l’entreprise ayant mené la campagne de communication la plus trompeuse au regard de ses activités réelles (...)
L’idée de Tristan Lecomte : créer un « marché carbone équitable » [6] dans lequel sont supprimés les multiples intermédiaires et les éventuels spéculateurs pour une meilleure rémunération des acteurs locaux. Plutôt que de compenser une future activité polluante en investissant dans une opération de conservation ailleurs dans le monde (lire notre enquête sur le projet commun d’Air France et du WWF à Madagascar), Pur Projet propose aux entreprises d’intégrer au sein même de leurs filières leurs engagements sociaux et environnementaux.
Dans le cas du Pérou, les projets sont financés par des entreprises, comme Alter Eco, Ben & Jerry’s (Unilever) ou Clarins (produits cosmétiques), qui se fournissent en matières premières – cacao, café, plantes, noix de coco, miel... – auprès des communautés locales et souhaitent minimiser l’impact de leurs chaînes d’approvisionnements. Voilà comment « les intentions pures d’une organisation » sont transformés « en purs projets » indique le site internet de l’entreprise.
Pour les Amis de la Terre, la différence avec la compensation carbone classique n’est pas évidente. « Plutôt que d’investir auprès de leurs fournisseurs pour réduire l’impact de leur chaîne d’approvisionnement, ces entreprises se donnent bonne conscience en finançant, via l’achat de "crédits carbone", des projets plus porteurs pour leur image de marque. » L’association relève dans la liste des clients de Pur Projet des entreprises comme GDF Suez qui a compensé les émissions de CO2 de son siège social en plantant plus de 10 000 arbres dans la coopérative péruvienne Acopagro. Ou bien encore le groupe de BTP Vinci qui s’est engagé à replanter un arbre pour chacun des 180 000 employés du groupe. « Vinci n’a financé la plantation d’arbres que pour une opération interne de ressources humaines à l’occasion de leur anniversaire, sans jamais l’envisager un seul instant, ni la communiquer, en termes de compensation ou pour se valoriser en terme "d’image verte" », se défend Pur Projet.
L’entreprise reconnaît cependant que les mécanismes de compensation carbone ont pu être détournés par des investisseurs peu scrupuleux. « Mais ce n’est pas une raison pour le condamner en bloc, estime Tristan Lecomte [7]. Il y a tellement à faire pour lutter contre le réchauffement climatique. » Quitte, parfois, à se salir un peu les mains, comme il le confiait dans son livre [8]. (...)
Suite à la nomination de Pur Projet au Prix Pinocchio, les Amis de la Terre demandent à l’entreprise « de reconnaître que la compensation carbone conduit à un transfert de responsabilité inacceptable des plus riches vers les plus pauvres » . Une demande qui ne risque pas d’être suivie d’effet à lire Tristan Lecomte : « Tout le travail de lobbying que j’ai pu entreprendre avec le commerce équitable, je suis prêt à le recommencer pour le commerce du carbone ». Le fondateur d’Alter eco avait été désigné en 2010 comme l’une des « 100 personnes les plus influentes du monde » par le magazine américain Time. Reste à vérifier que sa vision d’un « marché carbone équitable » aura une réelle influence sur le préservation des forêts primaires, sans nuire aux populations locales les plus défavorisées.