
Paru en anglais en 2000, Corps en tous genres nous fournit à la fois des clés conceptuelles et des exemples historiques précis pour argumenter contre toutes les théories du déterminisme biologique de la différence des sexes. Sa thèse principale en est « qu’apposer sur quelqu’un l’étiquette « homme » ou « femme » est une décision sociale. Le savoir scientifique peut nous aider à prendre cette décision, mais seules nos croyances sur le genre — et non la science — définissent le sexe » (p. 19). Une thèse que l’auteure étaye tout au long de l’ouvrage — dont chaque chapitre pourrait faire l’objet d’un livre à part — de la question de l’intersexuation (chapitres II, III et IV), à celle des études sur le cerveau (chapitre V) et à l’histoire des hormones dites « sexuelles » (chapitres VI, VII et VIII), montrant la façon dont la chimie devient sexuelle. Comment la culture devient une partie de la science ? est la question épistémologique qui traverse cette œuvre. Celle-ci réussit à démontrer que les faits scientifiques sur le corps sont produits par un processus liant à la fois la culture et la biologie.
Le premier chapitre, en guise d’introduction, pose la problématique centrale du livre et les arguments centraux que l’auteure veut démontrer. Il s’agit de prouver, en s’appuyant essentiellement sur les cas d’intersexuation, que le sexe est loin d’être une donnée simple divisée en deux options exclusives : même pour le sexe et la sexualité « la différence est affaire de nuances » (p. 19), nuances que l’on a constamment essayé d’évacuer par une « police du sexe », aux ordres de la « politique du genre » (ibid.) agissant entre autres dans le monde sportif, afin de maintenir la bicatégorisation par sexe (il ne peut y avoir que d’hommes et de femmes...). (...)
Or, ce ne sont pas seulement les policiers du genre qui sont en cause. À maintes reprises, des féministes s’intéressant au sexe dit social ont laissé en l’état les notions mêmes de sexe et de sexualité. Les mettre en question permet de faire apparaître des processus de normalisation des corps, notamment à travers la médecine, pour garantir la frontière exclusive entre les deux sexes. L’existence des individus intersexués aide à déconstruire cette frontière en révélant son arbitraire et ses fondements sociaux et culturels. Car les critères qui guident les médecins dans l’assignation de sexe à un bébé intersexué sont avant tout les capacités reproductives (pour une assignation « fille »), et la taille du pénis pour les « garçons ». (...)