
Deux choses me frappent particulièrement dans les analyses géopolitiques occidentales que je lis, et j’en ai lu un certain nombre depuis quelques mois. D’abord, le désir de guerre. Une guerre qui ne se limite pas simplement à des aspects économiques. Comment en est-on arrivé là ? Comment une telle propagande belliciste a-t-elle fait pour se répandre autant dans les médias, la diabolisation de Poutine représentant seulement un des aspects ?
La commémoration du centenaire de la première mondiale enflamme probablement en partie l’esprit des intellectuels réfléchissant sur les tensions internationales. Ce conflit occasionna la mise en pratique d’une théorie du célèbre prussien Carl von Clausewitz : la guerre totale. Clausewitz dessina les contours de ce que pouvait être une guerre absolue, mais il pensait que des facteurs comme l’intervention des Etats, l’évolution des situations conflictuelles ou les calculs politiques en limiteraient la pratique. La première guerre mondiale montra que les hommes pouvaient s’affranchir de ces limites. Elle marqua une rupture dans la conception de la guerre qui se fit de plus en plus totale. Elle le demeure aujourd’hui.
(...) J’ai l’impression que l’écrasante majorité des intellectuels occidentaux est complètement à l’ouest. Nos penseurs semblent confinés dans le XXème siècle et n’arrivent pas à en sortir : économiquement, ils espèrent que la croissance va revenir par miracle ; géopolitiquement, ils croient que les conflits se jouent encore principalement sur un terrain militaire. C’est à croire qu’ils n’ont jamais travaillé de leur vie, qu’ils sont inconscients des réalités économiques. Ils ne savent pas que la troisième guerre mondiale a déjà débuté depuis des décennies et qu’elle est économique.
Le terme de guerre économique est employé de manière courante, mais il paraît tabou de faire le lien entre ce qui se passe en Ukraine et la guerre économique. Les Etats-Unis ont tellement bien réussi leur propagande, les dirigeants européens sont tellement apeurés – et donc soumis à la soi-disant locomotive étasunienne - à l’idée de ne pas atteindre leurs objectifs de croissance, que tous les citoyens de l’Union ont été mis dans l’obligation de choisir un camp : les Etats-Unis ou la Russie.
Tout cela n’explique qu’en partie comment le désir de guerre peut s’instiller aussi facilement dans l’esprit des citoyens. (...)
Ce 8 mai 2014 me rappelle que la guerre ne cesse jamais. Elle continue inlassablement sous une forme ou sous une autre. Ce qui change, ce sont les armes employées, elles tuent plus ou moins, mais asservissent bel et bien. Qu’il s’agisse d’un brevet, d’une alliance commerciale, ou d’un drone, le résultat commun de leur action est que les survivants continuent d’accumuler des frustrations. Ces dernières alimentent l’espoir de pouvoir un jour se venger.