
Lorsqu’ils sont arrivés sur le marché, les journaux « gratuits » d’information ont provoqué un tollé dans le monde de la presse. Depuis ils ont pris leur place et ont été acceptés par les défenseurs de la presse payante, forcés et contraints. En vérité, leur impact économique a été quelque peu amplifié à l’origine. Retour sur dix années d’une lutte qui tend à s’estomper.
L’information a un coût
La question de la gratuité des journaux est particulièrement ambivalente car directement liée à celle du prix à donner à l’information – qui est par définition immatérielle et incommensurable… Ce questionnement a toujours été central dans les réflexions sur le journalisme. La « crise » liée à l’arrivée des journaux « gratuits » en 2002 en est une illustration : l’information a cela de particulier qu’elle est, selon certains, d’utilité publique. Dominique Foray dans L’économie de la connaissance [1] écrit ainsi : « Seule l’anticipation d’un prix positif de l’usage garantira l’allocation de ressources pour la création ; mais seul un prix nul garantit un usage efficient de la connaissance, une fois celle-ci produite. Dilemme entre l’objectif d’assurer à l’échelle de la société un usage efficient de la connaissance, une fois celle-ci produite, et l’objectif de fournir une motivation idéale au producteur privé. »
Selon Dominique Foray, le prix donné à l’information correspondrait donc simplement à une « motivation » pour les producteurs privés. Économiquement parlant, l’information gratuite serait donc la plus noble, la plus juste, la plus proche de son utilité première qui est d’offrir à tous « une connaissance » de l’actualité. Mais une telle logique « citoyenne », ne correspond évidemment pas à l’intention première des journaux gratuits. C’est une logique mercantile qui les anime et qui consiste à dégager le maximum de revenus (publicitaires) sans forcément offrir une qualité informationnelle qui les justifie. Pourtant, la gratuité de ces journaux leur confère un avantage concurrentiel considérable : les lecteurs n’ont plus à faire l’effort, physique et financier, d’aller dans un kiosque et de payer leur journal. C’est en ce sens que, selon certains, la concurrence est déloyale.
La gratuité est défendable certes. Cependant les journaux dits « gratuits » le sont-ils véritablement ?
Une concurrence déloyale…
La gratuité de ces journaux leur impose de compter uniquement sur la publicité pour enregistrer des bénéfices. (...)
Quels que soient les avantages et les handicaps de leur modèle économique, les « gratuits » ont de grandes difficultés à être rentables. Et ne constituent peut être pas la menace la plus imminente que les journaux payants doivent affronter… Certains l’ont d’ailleurs bien compris, et ont mis leurs attaques en sourdine, allant jusqu’à soutenir des « gratuits » afin d’avoir leur « part du gâteau ». (...)
L’impact économique de l’apparition de la presse gratuite est réel mais n’est pas aussi important que celui espéré (ou craint, c’est selon) à l’origine. Les journaux « gratuits » ont pourtant un effet : celui d’amplifier une culture de l’accès gratuit, exacerbée par Internet. Plus de dix ans après leur arrivée sur le marché, ils ont acquis une vraie visibilité. Et l’accès aisé à une information factuelle et simplifiée qu’ils permettent reste, malgré tout, une première approche de l’actualité. Ainsi la presse « gratuite » peut aussi être vue comme une porte d’entrée vers l’ensemble de la presse : une concurrence à court terme, dont la presse payante pourrait bénéficier à plus long terme...