
Le danger le plus redoutable, ce n’est pas tant que la bombe explose, c’est qu’elle existe déjà. Le danger, ce n’est pas le feu nucléaire, mais la foi nucléaire.
»
Paul Virilio
Le 19 février 2015, François Hollande s’est rendu sur la base aérienne d’Istres pour vanter les mérites de la dissuasion nucléaire française. Tout au long de son intervention, il a proclamé les articles de foi du catéchisme nucléaire et récité les dogmes de la théologie nucléaire sur le ton d’une conviction qui n’entend laisser place à aucun doute. Cette cérémonie fut en quelque sorte un culte voué à la divinité nucléaire qui comble la nation française de tous les bienfaits et la protège de tous les maux. « Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé, affirme le Président de la République, Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde. » ; « La dissuasion nous permet de préserver notre liberté d’action et de décision en toute circonstance, parce que c’est elle qui me permet d’écarter toute menace de chantage d’origine étatique qui viserait à nous paralyser. » ; « L’intégrité de notre territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux. Quels que soient les moyens employés par l’adversaire étatique nous devons préserver la capacité de notre nation à vivre. Tel est le sens de la dissuasion nucléaire. » ; « Il s’agit, à travers la force de dissuasion, de la survie et de la souveraineté de la France. » ; « Ce que la Force de dissuasion permet, c’est d’assurer à une Nation, à la France, à votre pays, ce qu’il y a de plus cher, de plus précieux, de plus essentiel, c’est-à-dire son indépendance. Et il n’y a pas d’indépendance s’il n’y a pas de liberté pour choisir son destin. La Force de dissuasion, c’est ce qui nous permet d’avoir la capacité de vivre libres et de pouvoir, partout dans le monde, porter notre message, sans rien craindre, sans rien redouter, parce que nous sommes sûrs de la capacité que nous avons à nous défendre. » ; « Indépendance, liberté, capacité à faire prévaloir nos valeurs, voilà pourquoi nous devons chaque jour, assurer la permanence de la dissuasion nucléaire et être capables, à chaque instant, d’en améliorer encore l’organisation, le fonctionnement et les armes. ».
Ainsi, rien ne semble pouvoir venir dérégler la mécanique de la dissuasion nucléaire qui, en toutes circonstances, permettrait à l’État français d’assurer la sécurité de la population. Pourtant, il existe une difficulté majeure, décisive, irréductible, qui vient non seulement mettre à mal le beau dispositif décrit par le Président de la République, mais lui enlève toute pertinence et toute crédibilité. Cette difficulté réside tout simplement dans un éventuel emploi de l’arme nucléaire. Car, il ne faut pas s’y tromper, contrairement à ce qui est dit parfois, l’arme nucléaire n’est pas une arme de non-emploi et François Hollande, comme malgré lui, est obligé de le reconnaître. « En raison des effets dévastateurs de l’arme nucléaire, affirme-t-il, elle n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive. » Mais comment François Hollande feint-il de ne pas avoir conscience que les effets de l’arme nucléaire seraient également dévastateurs dans le cadre d’une stratégie défensive ? (...)
Même dans les situations extrêmes envisagées par le Président de la République, l’arme nucléaire n’est pas une arme légitime de défense, mais une arme criminelle de terreur, de destruction, de dévastation et d’anéantissement.
Cependant, François Hollande semble n’avoir aucune conscience que tout emploi de l’arme nucléaire constituerait un « crime contre l’humanité et la civilisation » (résolution des Nations Unies du 24 novembre 1961) qui discréditerait la France aux yeux du monde entier. Surtout, il est remarquable que le Président n’envisage aucunement quelles seraient les conséquences catastrophiques irréparables de ces frappes nucléaires pour les autres et pour nous-mêmes, pour la terre et pour l’humanité. Combien de milliers, combien de millions de morts ? Il est dans le déni le plus total de la réalité des destructions illimitées qui seraient provoquées. Ce déni confine à l’irresponsabilité. (...)
Il est toujours facile de proclamer sur une estrade une rhétorique vantant les mérites de la dissuasion nucléaire en assurant qu’elle est garante à la fois de la grandeur de la France et de la sécurité des Français. Mais lorsque surviendrait le moment du passage à l’acte qui est l’épreuve de vérité de la dissuasion nucléaire, il apparaîtrait clairement que la rhétorique n’a aucune prise sur la réalité. La rationalité supposée de la doctrine s’effacerait alors pour céder la place à l’irrationalité la plus totale. On peut gager qu’aucun Président de la République française ne prendra jamais la décision de passer à l’acte nucléaire. Celui-ci serait totalement insensé, une pure folie.
À l’évidence, le réalisme conduit à affirmer que la dissuasion nucléaire ne protège la France d’aucune des menaces qui pèsent sur elle. Tout particulièrement, l’arme nucléaire n’est d’aucun recours conte la menace terroriste. La puissance apocalyptique de l’arme nucléaire sera toujours dérisoire face au pouvoir assassin de la kalachnikov. Le passage raisonnable à l’acte nucléaire est impossible tout simplement parce qu’il est impensable. (...)
En poursuivant la modernisation de son système d’armes nucléaires la France ne peut qu’accroître la probabilité d’une catastrophe nucléaire accidentelle du fait de la double prolifération verticale et horizontale. C’est pourquoi le renoncement à l’arme nucléaire est un impératif catégorique tant du point de vue de l’exigence éthique que du réalisme politique. Notons également que l’argument économique plaide fortement en faveur du renoncement à l’arme nucléaire. Les milliards d’Euros dépensés en vain chaque année au profit de l’arsenal nucléaire pourraient être investis dans d’autres domaines socialement utiles. (...)
La France est l’un des cinq États dotés de l’arme nucléaire qui sont membres du Traité de Non-Prolifération (TNP). L’article VI de ce traité précise : « Chacune des parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée. » Mais ces cinq États nucléaires violent délibérément cette obligation, non seulement en n’ouvrant aucune négociation sur lé désarmement nucléaire, mais en menant une politique délibérée de modernisation de leur arsenal nucléaire. C’est ainsi que le 5 février dernier, lors d’une conférence de presse, François Hollande a déclaré : « J’entends que notre force de dissuasion soit modernisée autant qu’il est nécessaire. » (...) (...)
Le problème c’est que tous les États dotés – au premier rang desquels la France – sont unanimement déterminés à maintenir et à moderniser leur arsenal nucléaire et que, par conséquent, le désarmement mondial est impossible dans un avenir prévisible. La déclaration de François Hollande est la preuve française qui confirme, s’il en était besoin, que la prochaine Conférence d’examen du TNP qui doit se tenir cette année a déjà échoué et qu’elle ne parviendra sûrement pas à signer une Convention d’élimination mondiale des armes nucléaires. C’est pourquoi, il est de la responsabilité de chaque citoyen français de décider s’il consent ou non à cautionner le choix nucléaire du Président de la République. S’il n’y consent pas, il lui appartient alors d’exiger le désarmement nucléaire unilatéral de la France.
Dans une démocratie, ce sont les citoyens, et non les dirigeants, qui sont dépositaires du pouvoir souverain. C’est donc à eux qu’appartient la responsabilité de ne pas accepter l’inacceptable. Mais encore faut-il qu’ils décident d’exercer leur pouvoir…