
La décision du Conseil constitutionnel, qui contraint le gouvernement à revoir la définition de son « délit de solidarité », est historique. Elle fera date aussi, et peut-être surtout, en raison de la place éminente qu’elle assigne au dernier terme de la devise républicaine.
A n’en pas douter, la décision que le juge constitutionnel vient de rendre sur ce qu’il est convenu d’appeler le « délit de solidarité » fera date.
Elle fera date, bien entendu, en raison de la position prise à l’égard des dispositions réprimant pénalement - sous réserve d’exemptions - les personnes qui apportent une aide aux étrangers en situation irrégulière. Cette position peut se ramener aux deux points suivants ; d’une part, l’exemption de poursuites pénales ne saurait se limiter à l’aide au séjour irrégulier. Elle doit aussi s’étendre à l’aide à la circulation (c’est-à-dire au transport) de l’étranger irrégulier lorsqu’elle est réalisée « dans un but humanitaire » et dans la mesure où elle ne fait pas « nécessairement […] naître une situation illicite » et peut ne constituer que « l’accessoire de l’aide au séjour ». D’autre part, les dispositions qui n’exemptaient de poursuite que certains actes de solidarité (prestations de restauration, d’hébergement, de soins médicaux, etc., ainsi que toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de la personne) doivent être entendues largement : l’immunité doit s’appliquer non seulement à ces actes, mais aussi « à tout autre acte d’aide apporté dans un but humanitaire »…(...)
celui qui, mû par un souci humanitaire, apporte une aide à la circulation de l’étranger irrégulier ne pourra plus faire l’objet de poursuites pénales, le législateur étant tenu, d’ici le 1er décembre 2018, de rendre la loi conforme à la Constitution ; ensuite, parce que c’est désormais tout acte humanitaire, quelle que soit la prestation à laquelle il se rapporte, qu’il devient impossible de réprimer au titre de l’aide à la circulation ou au séjour irréguliers. Mais solution, cependant, nullement révolutionnaire : car s’il procède à une censure et à une neutralisation de certaines des dispositions litigieuses, le juge ne va pas jusqu’à admettre que l’exemption pénale s’étende à l’aide à l’entrée sur le territoire : autrement dit, cette aide demeure un délit et ce, même si elle est apportée à titre humanitaire…
Mais cette décision fera date, aussi et peut-être surtout, en raison de la place éminente qu’elle assigne, au sein de l’ordonnancement juridique, au dernier terme de la devise républicaine.(...)
celle-ci est un « principe à valeur constitutionnelle ». Une telle position, a priori, n’allait pas de soi, tant est ancienne, et encore assez largement répandue aujourd’hui, l’opinion selon laquelle, contrairement à la liberté et à l’égalité, la fraternité ne serait pas de droit strict et relèverait essentiellement du sentiment et de la morale…(...)
la fraternité ayant vocation naturelle à déboucher sur la mise en œuvre de politiques de protection et de redistribution (aide et action sociales, sécurité sociale, etc.) ; et un volet « civil » et « politique », renvoyant au « vivre-ensemble » : la fraternité impliquant par hypothèse - pour autant qu’elle prend appui non pas sur l’appartenance à un groupe mais sur l’éminente dignité attachée à la qualité d’homme - l’exercice de la tolérance, la bienveillance pour autrui, l’aide et la sollicitude à l’égard de l’étranger (celui-ci fût-il en situation irrégulière)…
En examinant la conformité des dispositions contestées au principe de fraternité et en estimant qu’elles lui étaient en partie contraires, le juge a donc rendu une décision historique : ce principe étant appelé, désormais, à être régulièrement invoqué dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, que ce contrôle soit a priori ou a posteriori… (...)