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Libération
La journaliste Emmanuelle Ducros a-t-elle été rémunérée par des lobbys de l’industrie agro-alimentaire ?
Par Service Checknews
Article mis en ligne le 28 juin 2019

Accusée sur Twitter par plusieurs de ses confrères d’être rémunérée par des groupes issus de l’agroalimentaire, la journaliste Emmanuelle Ducros, qui couvre le secteur agricole pour « l’Opinion », assure que c’est faux. Notre enquête montre le contraire.

(...) Les « ménages » sont ces prestations rémunérées où les journalistes mettent le temps d’une heure ou d’une journée leur notoriété, ou leur expertise, au service d’une marque ou d’une association. Plus précisément : Emmanuelle Ducros, qui couvre notamment le secteur de l’agriculture, est accusée ici de faire des ménages pour des groupes de l’industrie agroalimentaire. Elle est, également, et ce depuis plusieurs mois au cœur d’une vive bataille sur la question du glyphosate, sur laquelle s’opposent publiquement, sur Twitter, plusieurs journalistes. (...)

Pour résumer sommairement cet affrontement, nous avons d’un côté Elise Lucet (France 2), Tristan Waleckx (France 2) et Stéphane Foucart (le Monde) qui alertent, à travers leur travail, sur les dangers du glyphosate. Et de l’autre, Emmanuelle Ducros et Géraldine Woessner (Europe 1), qui dénoncent ces discours alarmistes sur le même sujet, alimentant selon elles une psychose irrationnelle.

Les deux camps se livrent, depuis des mois, une guerre acharnée sur Twitter. Ils s’étaient déjà affrontés en ligne après la diffusion, en janvier dernier, d’une enquête d’Envoyé spécial sur le glyphosate (CheckNews avait alors tenté de départager les deux parties). Pour illustrer cet affrontement, le Point a d’ailleurs publié la semaine dernière un article intitulé « Géraldine Woessner et Emmanuelle Ducros : le cauchemar d’Elise Lucet ». (...)

C’est ce papier qui a mis le feu aux poudres. (...)

La journaliste de l’Opinion a-t-elle été rémunérée pour animer certains de ces débats ? Alors qu’elle soutient que non sur les réseaux sociaux, notre enquête montre le contraire, au moins pour l’une de ses interventions. Si certaines organisations ont assuré que la journaliste avait simplement été défrayée pour animer leur débat, et que plusieurs ont refusé de répondre à nos questions, d’autres se sont montrées plus transparentes.
Un ménage pour la FEB en 2018

C’est le cas notamment de la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB), qui organisait en Autriche en juin 2018 une table ronde intitulée « Adapter la boulangerie-pâtisserie aux attentes des consommateurs », à laquelle Emmanuelle Ducros a participé. A-t-elle été rémunérée pour cela ? Sur Twitter, la journaliste de l’Opinion a nié avec ironie : « Cocasse ! Ce n’était pas un ménage mais une participation à une table ronde. Les entreprises du secteur, lassées du journalisme de caniveau que vous incarnez, voulaient rencontrer un journaliste honnête ! », a-t-elle répondu à ses accusateurs.

Contacté par CheckNews, le délégué général de la FEB, Matthieu Labbé, assure pourtant qu’il s’agissait bel et bien d’un ménage. « Si on veut faire venir les gens, il faut les payer. Elle a été défrayée pour l’avion et pour l’hôtel, et sa prestation a été rémunérée. » Également présent autour de la table ce jour-là, le journaliste spécialisé en gastronomie Franck Pinay-Rabaroust, contacté par CheckNews, assure avoir été rémunéré 1 000 euros pour ce débat, où il a pris la parole une quinzaine de minutes. Même chose pour Ducros ? « Oui, dans ces eaux-là », assure le délégué général de la FEB, qui ne se rappelait plus du montant exact au moment de notre entretien téléphonique.

Une somme confirmée par Emmanuelle Ducros, contactée par CheckNews. « J’ai été rémunérée 1 000 euros parce que c’était un week-end ». Elle justifie sa présence à cette table ronde ainsi : « Le thème, c’était la transparence. On m’a demandé de m’exprimer sur ce sujet-là. Mon propos était justement d’inciter les entreprises du secteur à ouvrir leur porte, à recevoir les journalistes, à expliquer comment elles travaillent. »

Sur Twitter, le journaliste de France 2 Tristan Waleckx a également relevé que quelques mois après ce ménage, la journaliste avait reçu, à deux reprises, le président de la FEB sur le plateau de l’Opinion.

De fait, Sébastien Touflet, président de la FEB, a bien été interviewé à deux reprises par Emmanuelle Ducros, le 28 septembre et le 1er octobre 2018. Echange de bons procédés ? Ducros se défend en affirmant qu’elle n’est pas à l’origine de ces invitations. « C’était dans le cadre d’un partenariat avec l’Opinion [avec Passions Céréales, collectif d’information sur les céréales, ndlr]. Ce n’est pas moi qui ai calé l’interview, la FEB figurait simplement dans la liste de nos partenaires. » Des propos confirmés par Anne Bidoli, responsable de la communication externe de l’Opinion, en charge notamment de ce genre de partenariat pensé pour faire connaître la marque de son journal auprès des différents influenceurs ou leaders d’opinions. Elle ignorait, en revanche, qu’Emmanuelle Ducros avait été rémunérée par la FEB.

« Elle nous a bien transmis un devis »

Mais sur Twitter, la journaliste a dû se justifier de sa participation à un autre évènement, plus directement lié à la querelle qui l’oppose à ses détracteurs au sujet du glyphosate. En février 2019, la journaliste animait en effet la réunion annuelle de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), le lobby national des pesticides. Au menu de cette journée : trois tables rondes et diverses interventions sur la question des pesticides. « Cette prestation n’a pas été rémunérée. […] Et cela n’a jamais signifié que j’adhérais à des thèses soutenues par l’organisation », se défend la journaliste de l’Opinion, en réponse aux critiques émises par plusieurs de ses confrères, estimant compliqué d’un point de vue déontologique d’écrire sur ces questions-là, tout en animant la réunion annuelle du principal lobby.

Emmanuelle Ducros a-t-elle été payée pour cette prestation ? Non, assure-t-elle. Un élément évoqué par la journaliste dans une série de tweets postée à la suite de notre entretien téléphonique mercredi, fragilise, en apparence, sa version des faits. Un enregistrement, réalisé début mars par une personne qui s’est fait passer pour Emmanuelle Ducros auprès d’un employé de l’UIPP, atteste d’un devis adressé par la journaliste. Laquelle a porté plainte pour usurpation d’identité. Contrairement à ce qu’a affirmé Emmanuelle Ducros dans son tweet, CheckNews ne s’est pas prévalu d’être en possession de cet enregistrement (et ne l’a jamais été). En revanche, le contenu de l’échange a bien été raconté à CheckNews par trois sources différentes.

Qu’entend-on dans cet enregistrement ? Une personne du service comptabilité de l’UIPP affirme qu’Emmanuelle Ducros avait fait parvenir un devis à l’entreprise suite à sa prestation lors de la réunion annuelle. Un devis d’un montant compris entre 2 000 et 3 000 euros. Soit une somme très proche de celle touchée deux ans plus tôt par Pascal Berthelot, ex-journaliste à Europe 1 et aujourd’hui animateur de débat agricole. Ce dernier avait été rémunéré 2 000 euros par l’UIPP pour animer leur réunion annuelle de 2017, comme il l’a confirmé à CheckNews. (...)

Elle nous a bien transmis un devis. Puis elle a fait marche arrière, ne souhaitant plus être rémunérée. Elle n’a donc jamais été réglée. » Pourquoi avoir changé d’avis ? Relancée par CheckNews, la journaliste n’a, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations. Mais cette « marche arrière » pourrait être liée avec le fait que plusieurs journalistes, de presse écrite ou de télé, se sont penchés sur ce sujet ces derniers mois, en contactant à chaque fois l’UIPP.